Simone Gbagbo : « Personne ne pourra plus nous intimider »

  • 28/08/2020
  • Source : Simone Gbagbo
Simone Gbagbo a animé une conférence de presse ce jeudi 27 août 2020, pour se prononcer sur ce qui fait l’actualité en Côte d’Ivoire.

Depuis le 6 août dernier, date de l’annonce malheureuse et anticonstitutionnelle de sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2020, M. Alassane Dramane Ouattara a, de nouveau, précipité notre pays, la Côte d’Ivoire dans une zone de turbulence à l’issue incertaine.


Son refus délibéré de respecter les articles 55 et 183 de notre constitution, qui, sans équivoque, lui ôtent la possibilité de briguer un troisième mandat, même dans une nouvelle république, a provoqué une vague de remous sociaux sur l’ensemble du territoire national et nous conduit irrémédiablement vers le chaos prédit en 2016 par le Ministre Cissé Bacongo.


En effet, depuis quelques semaines, de l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord en passant par le Centre, des manifestations de protestation contre cet autre viol de la Constitution par celui-là même qui est sensé en être le garant, sont régulièrement organisées par le peuple de Côte d’Ivoire.


Les populations, particulièrement les jeunes et les femmes d’Abengourou, Adzopé, Akoupé, Agboville, Alépé, Yakassé-Attobrou, Yakassé-Mé, Tanda, Dimbokro, Sankadiokro, Aniassué, Prikro, Koun-Fao, Tankessé, Daoukro, Toumodi, Tiébissou, Divo, Guibéroua, Gagnoa, Soubré, Saïoua, Issia, Grand-Zatry, Zoukougbeu, Sinfra, Bangolo, Guiglo, Duékoué, Kouibly, Facobly, Ferkessédougou, Korhogo, Tabou, Dabou, Sikensi, Tiassalé, N’douci, Elibou, Bonoua, Bingerville, Songon, Yopougon, Akouédo, Anono, Port-Bouët, Abobo-doumé, Belle-ville Abobo, pour ne citer que ces villes et communes d’Abidjan, conformément à leur droit constitutionnel, se sont dressées, les mains nues, pour protester contre cette autre imposture.


Hélas ! Alors que nous avions espéré que notre appel du mardi 11 août 2020 qui invitait les forces de l’ordre, à exercer correctement leur rôle régalien d’encadrement des manifestations, serait entendu, il a plutôt été donné à la communauté nationale et internationale de voir les force de l’ordre, se lancer dans une action répressive vive contre des jeunes et surtout des femmes sans défense, avec un déploiement de chars et d’engins de répression, y compris des aéronefs, provoquant des scènes de barbarie d’un autre âge, avec à la clef, des arrestations et de nombreuses victimes.

Parmi les personnes arrêtées il faut mentionner Madame Pulchérie Edith Gbalet militante des Droits de l’Homme, Coordonnatrice nationale de la plate-forme de la Société civile, Action citoyenne ivoirienne (ACI) qui est incarcérée.
Quant aux victimes, le bilan macabre provisoire, au 25 août 2020, est lourd. Il y aurait au moins 23 morts.


Au titre toujours des victimes, en plus de ces morts, il faut déplorer de nombreux blessés, les destructions délibérées et ciblées des biens des populations jugées proches de l’opposition par des supplétifs instrumentalisés (les microbes) et qui selon le rapport d’Amnistie International publié le 17 août 2020, seraient encadrés par les forces de l’ordre.


Je prends à nouveau la parole –et je la prendrai désormais chaque fois que de besoin- pour tirer la sonnette d’alarme parce que le contexte devient particulièrement préoccupant.


Notre pays est en train de basculer dans des violences inacceptables parce que, des gens, contre la volonté du peuple, et contre le droit constitutionnel, ont décidé de prendre en otage le pays en s’enracinant au pouvoir par tous les moyens, même s’il faut marcher dans le sang des Ivoiriens, allant jusqu’à organiser des affrontements intercommunautaires ; autant d’actes passibles de poursuites devant la haute cour de justice ivoirienne et les juridictions interafricaines.


Face à cela, je ne peux me taire.

Des Citoyens manifestent les mains nues pour défendre et protéger leur Constitution et on leur oppose la brutalité. Je ne peux pas me taire. Et comme moi, d’autres leaders d’opinion devraient se lever pour donner de la voix et dénoncer ces manques de respect de nos droits et de notre constitution.
Je voudrais m’incliner devant la mémoire de tous ces citoyens morts pour notre pays, tous ces citoyens morts pour s’être dressés contre le viol de notre Constitution et l’imposture. Je présente mes condoléances aux familles endeuillées par cette méchanceté inutile.
A nos concitoyens meurtris dans leur chair, qui porteront pour certains et peut-être, pour toujours des séquelles, à ceux qui ont perdu leurs commerces, leurs entreprises, leurs logements, leurs biens acquis au prix de durs labeurs, à tous ceux qui d’une manière ou d’une autre ont été des victimes des effets directs ou collatéraux de cette crise préélectorale, je dis YAKO ! Je vous exprime toute ma compassion.

Je voudrais à nouveau, inviter les forces de l’ordre à l’exercice de leur mission qui est d’abord et avant tout de protection plutôt que de répression dans un Etat de droit et dans une République démocratique, afin d’éviter à notre pays ce triste décor post-manifestation des civils. Je voudrais les inviter à la retenue.


La liberté de manifester est un droit dévolu et reconnu au citoyen. Elle est le miroir de la vie d’une nation qui se veut démocratique. Ainsi que l’a dit l’Ambassadeur des Etats Unis en Côte d’Ivoire, « la répression et l’intimidation n’ont pas leur place en démocratie ».


Je déclare ici, fermement, que nous ne céderons ni à aucune intimidation, ni à la répression.
Ceci dit, je voudrais revenir sur une proposition que j’avais faite lors de mon point de presse.


J’avais demandé que pour la paix et la réconciliation nationale, et afin que les élections programmées se déroulent dans un environnement apaisé, que M. Ouattara prenne une loi d’amnistie générale pour libérer tous les prisonniers politiques civils et militaires, permettre aux exilés de retrouver leur terre natale et pour que M. Laurent Gbagbo, désormais acquitté des charges contre lui devant les juridictions de première instance de la Cour pénale internationale, puisse non seulement rentrer au pays, mais jouir de tous ses droits de citoyen.


En réponse à ma requête, le pouvoir a durci sa position : non seulement la Commission Electorale Indépendante (CEI) a maintenu le retrait du nom du Président Laurent Gbagbo de la liste électorale, mais les juges de première instance viennent d’entériner ce retrait en prononçant sa radiation définitive des listes.


Nous continuons d’espérer que M. Laurent GBAGBO sera rétabli dans ses droits.
M. Ouattara, lors de son investiture en tant que candidat du RHDP, se gargarisant de sa prochaine victoire, s’est cru bien fondé de menacer que quiconque voudra perturber les élections le trouvera sur son chemin.


Je voudrais redire que personne ne pourra plus nous intimider quand il s’agit de la vie et de l’avenir de notre nation.
Les Ivoiriens doivent se donner le droit et la liberté de voter le meilleur d’entre ceux qui aspirent à diriger les destinées de leur pays. Ils n’acceptent donc pas que par des subterfuges juridiques, des manipulations des conditions électorales et par des intimidations, des candidats soient écartés des élections. Non, nous n’acceptons pas cela.


A propos des élections, tous les observateurs attentifs de la vie politique de notre pays, s’accordent pour dire que toutes les conditions ne sont pas réunies pour obtenir des votes propres et transparents, dans un environnement sécuritaire sain. Beaucoup de manquements entourent l’organisation de ces élections.

Premièrement concernant le Président de la CEI
M. Kuibiert-Coulibaly Ibrahime s’est rendu coupable d’une faute professionnelle grave par laquelle il se disqualifie lui-même et doit être révoqué de la présidence de la CEI. En tant que citoyenne de cette nation, je le récuse à ce poste.


Me Claude Mentenon, ancien bâtonnier, Avocat à la cour dans son développement publié dans la presse locale, notait ceci parlant du président de la CEI.
« Mais il n’a pas pu échapper au Président de la CEI, lui-même magistrat de formation et de fonction récente, que son intervention télévisée sur un sujet aussi sensible, en cours d’instruction devant la juridiction électorale que lui-même préside, et qui, à la date de son intervention, n’avait pas encore vidé sa saisine, constitue une faute professionnelle incontestablement disqualificative qui eut nourri suspicion légitime et commande sa récusation dans un contentieux classique.
Bien mieux, une telle sortie médiatique le 16 août 2020 alors même que la CEI saisie depuis le 5 août du contentieux de l’inscription de M. Laurent GBAGBO sur la liste électorale, n’avait pas encore vidé officiellement sa saisine à la date du 16 août, contrevenait aux dispositions de l’article 22 de la loi portant création, organisation et fonctionnement de la CEI qui dispose :

« les délibérations de la CEI sont secrètes. Indépendamment des sanctions pénales prévues par législation en vigueur, il est interdit, sous peine de révocation, à tout membre de la Commission, d’exciper ou d’user de sa qualité pour d’autres motifs que l’exercice de sa mission, de violer le secret des délibérations ou de communiquer à des tiers, des documents reçus ou établis par la commission » »


La révision de la CEI ne concerne pas seulement la justice et l’équité de cette institution, mais également et surtout, sa neutralité et son équilibre.
Entre les mains de personnalités partisanes, cet instrument devient une arme, un moyen redoutable de manipulation et de falsification.


En 2010, le Président Laurent Gbagbo avait cru bien faire, en cédant la présidence de la CEI à ses adversaires et c’est ainsi qu’après M. Mambé Robert, un autre cadre PDCI, allié du RDR, en l’occurrence M. Youssouf Bakayoko, avait été retenu pour la présider.

Il est vrai que, ce n’est pas la CEI qui vote, mais c’est elle qui traite les bulletins et dit les premiers résultats. Ici, la rigueur, l’intégrité, la neutralité sont donc des exigences incontournables.

Quant à moi, j’ai toujours souhaité que la CEI soit vraiment indépendante et par conséquent dirigée par des personnalités qui n’ont aucune filiation avec les Partis politiques. Ces derniers devraient y affecter des représentants chargés de contrôler l’équité et la neutralité effectives des actes posés par cet organe constitutionnel.

Deuxièmement sur l’organisation des élections
De graves anomalies constatées notamment sur le fichier électoral, ne sont pas prises en compte.
Nos équipes communes FPI-PDCI ont trouvé sur la liste électorale :

‒ 7 000 inscrits sans père ni mère
‒ 35 Burkinabés en possession de cartes d’électeurs
‒ 7 inscrits âgés de moins de 1 an
‒ 20 électeurs inscrits dans 7 bureaux de vote.
‒ une personne qui se retrouve, elle seule, à Koumassi, Abobo, Marcory, Bassam, Cocody, Adjamé, Attécoubé, Anyama, Bingerville, Yopougon, Treichville, Port-Bouet et Plateau. Elle a, elle seule, 13 cartes d’électeurs !
‒ Des décédés sur la liste (cas feu Charles Diby Koffi)
‒ Des augmentations anormales du nombre d’électeurs. Sur Abidjan par exemple :
 la commune du Plateau qui comptait en 2015, 24 091 électeurs, comptent aujourd’hui en 2020, 66 266 électeurs. Ce qui correspond à 42 145 électeurs en plus. Soit une augmentation de 175,07%
 la commune de Port-Bouet qui comptait en 2015, 97 617 électeurs, compte aujourd’hui en 2020, 134 365 électeurs. Ce qui correspond à 36 000 électeurs en plus. Soit une augmentation de 37,65%
Ces élections-ci ne doivent pas se tenir tant que les graves anomalies constatées sur leur organisation ne sont pas corrigées, notamment :

‒ La constitution même de l’organe,
‒ Les radiations contre performantes,
‒ L’audit de la liste électorale,
‒ L’adoption consensuelle du découpage électoral,
‒ L’annulation des décisions prises par le Chef de l’Etat. (Parrainage, Caution de 50 millions FCFA etc.)

Refusons de légitimer cette parodie d’élection avec cette liste électorale non auditée, cette Commission Electorale non consensuelle et partisane, ce Conseil Constitutionnel dont la composition n’augure rien de bon.


Organisées en l’état, ces élections seront loin d’être justes, équitables et transparentes. Nous ne voulons pas de semblant d’élection présidentielle. Cette élection-ci est pipée d’avance.


Frères et sœurs, il ne s’agit ici ni de nos ambitions personnelles, ni de nos convictions idéologiques. Ce qui est en jeu, c’est l’intégrité de notre nation, c’est notre sécurité à l’intérieur de nos frontières. Il s’agit de nous réapproprier le destin de notre pays.


Cette question-là interpelle chacun d’entre nous.
Elle interpelle tout le corps social de notre pays : les hommes d’affaires, les intellectuels, les spécialistes de droit et de justice, les travailleurs, les fonctionnaires et agents de l’Etat, le monde paysan, les forces de l’ordre ou de sécurité, les étudiants, les jeunes et les femmes, les sans emploi, etc. Tous, nous sommes concernés. Je le répète : l’avenir de notre pays est en jeu.


À ce que j’entends, certains Ivoiriens sont en train de se laisser gagner par le découragement à cause des agissements et des propos de M. Ouattara. Ce n’est pas là un sentiment adéquat.


Je dis une fois encore, levons-nous pour notre nation, quelle que soit notre ethnie, quelle que soit, notre religion. Barrons la route à toute forme de forfaiture, à toute forme d’arrogance. Reprenons notre pays en main. Quand un peuple le veut, il peut. Nous sommes à la croisée des chemins. L’avenir de toute la Côte d’Ivoire se joue ici et maintenant. Et pour adresser cette question vitale, j’ai « déposé mon cœur dans l’eau ». Non, il n’y a en moi, ni peur, ni colère, ni irritation, ni haine.


Nous restons adossés aux lois humaines que nous nous sommes nous-mêmes librement données, et aux lois divines.
Les versets 35 et 36 du Psaumes 37, déclare au demeurant : « J’ai vu le méchant dans toute sa puissance ; Il s’étendait comme un arbre verdoyant. Il a passé, et voici, il n’est plus; Je le cherche, et il ne se trouve plus. »


Nous avons notre nation à bâtir. Levons-nous et bâtissons la ensemble tel que les saintes écritures nous le recommande dans Esaïe 28,17 : « Je ferai de la droiture une règle, Et de la justice un niveau ; Et la grêle emportera le refuge de la fausseté, Et les eaux inonderont l’abri du mensonge. »


Je dis à tous les candidats, à tous les ivoiriens que des élections auront lieu dans ce pays, et nous y participerons, mais auparavant, notre nation aura reformé l’environnement électoral, et aura reconquis sa paix, sa justice, sa sécurité.
Que Dieu garde la Côte d‘Ivoire.
Que Dieu protège la Côte d‘Ivoire.
Je vous remercie.

Fiat à Abidjan, le 27 août 2020
Simone Ehivet Gbagbo
2ème Vice-présidente du FPI