Dans une sorte de correspondance intitulée ‘’Chronique d’un voyage de Paris à Brazzaville’’ dont il est à la 3ème publication, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro révèle tout sur son voyage chez le président congolais, Denis Sassou N’guesso. Il en profite pour régler de petits comptes, notamment à un « dignitaire » du régime Ouattara, qui aurait fourré son nez dans ses affaires. Ci-dessous, l’intégralité de son texte plein d’anecdote s et de confidences.
Chronique d’un voyage de Paris à Brazzaville (III): Flashbacks sur le Président Sassou Nguesso et moi-même
Chers Tous,
Je vous avais promis de vous parler de l’exceptionnelle relation d’humanité qui me lie au Président Sassou Nguesso. Une promesse étant une dette, je veux m’en acquitter même avec quelques retards dus à des impondérables. Voici donc quelques flashbacks que m’inspire la semaine que je viens de passer au Congo.
Comment ai-je connu le Président Sassou Nguesso ? Enfant à l’école primaire, nous avions dans les années 70 à 80, des cahiers qui avaient des effigies pays par pays, des Chefs d’Etat de l’OUA. On avait la même chose dans les calendriers, je crois. Et c’est comme cela qu’on apprenait les noms des présidents, les drapeaux et capitales des pays africains.
C’est ainsi que j’ai vu sur un de mes cahiers, un Chef d’Etat sanglé dans un treillis impeccable, le Capitaine Denis Sassou Nguesso. Vraiment, un bel homme. J’étais, comme tous les enfants de mon âge, impressionné par ce soldat solennel et superbe dans son uniforme d’Officier et de Chef de l’Etat. Voilà mon premier souvenir de Denis Sassou Nguesso. Je n’imaginais pas alors que je rencontrerais et connaîtrais un jour cet homme, pour de vrai.
Mais, la vie est pleine de surprises.
En 2004, un jeune congolais par un heureux hasard se présente à moi prétendant aimer mon affaire. II insiste et se déplace de Brazzaville à Bouaké pour venir me voir, à une époque où c’était vraiment risqué. Il se nomme Richard Okissi. Je le reçois, je l’écoute. Mais un peu distrait, sans trop croire en ce qu’il me dit. Il me parle de son pays et du Président Sassou. Or, quelque temps plus tard, Richard Okissi me fera rencontrer un certain Noel Guy, je saurai plus tard qu’il est Conseiller du Président Denis Sassou Nguesso. Aux côtés du Président Sassou, il m’a toujours manifesté de l’amitié et de la loyauté. Même aux pires moments de mes déboires, alors que certains de l’entourage du président Sassou prédisaient (comme bien des dignitaires ivoiriens, ma dégringolade politique sinon ma fin), Noël Guy est resté un confident et fidèle compagnon. Il me dira un jour qu’il se souvient de la traversée de désert du Président Sassou lui-même. Quand Sassou fut débarqué du pouvoir, c’était le cauchemar, un vrai cauchemar. Noël Guy a vu des thuriféraires et des laudateurs prendre la poudre d'escampette. Ceux mêmes qui, hier, chantaient ses louanges étaient devenus ses pourfendeurs les plus acharnés. Ah les hommes! Ne dit-on pas que la race humaine a surtout un certain flair fort aiguisé quand il s’agit de deviner la seconde à laquelle il vaut mieux décrocher la photo de Pierre dans son salon pour y accrocher, à-la-va-vite, la photo de Paul sans coup férir ?! Ils sont nombreux, ces saprophytes autour des hommes politiques, hélas pour leur plus grand malheur.
Enfin, par l’entremise poursuivrai-je, de ces deux personnes, j’effectuerai un premier voyage au Congo-Brazzaville en 2005, et je ferai alors connaissance avec le Président Denis Sassou Nguesso, dans sa villa du quartier de Mpila. Mes pensées les meilleures à mes frères Richard Okissi et Noël Guy, passeurs de ponts entre moi et ma famille congolaise ! Je leur en serai toujours obligé.
J’étais donc allé voir le Président Sassou pour lui exposer ma part de vérité sur la crise politique en cours dans mon pays, la Côte d’Ivoire. Je n’étais pas Premier Ministre encore. Je n’étais donc rien. Mais, alors que je pouvais craindre d’être reçu avec la condescendance habituelle de certains grands types qui vous snobent au premier contact, je fus plutôt agréablement surpris par la convivialité, la franchise et la camaraderie de gauche qui caractérisèrent l’accueil que me fit le Président de la République du Congo. Très vite, il me mit à l’aise. C’est en compagnon de lutte des gauches africaines qu’il me reçut et que nous conversâmes longuement, à bâtons rompus.
Depuis lors, nous n’avons eu cesse de nous fréquenter et de mieux nous apprécier. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois. Je ne pourrais vous les raconter au détail, puisque cela ne vous intéresse pas forcément, mais aussi parce qu’on n’a pas à tout raconter de ses relations d’humanité. Nous sommes en tout cas, le Président Sassou Nguesso et moi, tout naturellement passés des us institutionnels et diplomatiques à une fraternité de vie et d’expérience, à une relation véritablement filiale. Nous nous sommes ainsi, tout de suite, connectés. Je garde d’ailleurs une photo mémorable de notre première rencontre. L’Histoire allait de nouveau nous réunir.
Hasard de l’histoire ? Il se trouve en effet qu’en 2006, le Président de la République du Congo, Sassou Nguesso, est désigné Président de l’Union Africaine par ses pairs. A ce titre, il s’engage dans une médiation dans la crise politique ivoirienne. Il vient à Abidjan, pour obtenir des acteurs politiques ivoiriens la concomitance des opérations de désarmement et du processus électoral. Charles Konan Banny, alors Premier Ministre, le sollicite aussi en ce sens. Dans la perspective ainsi dégagée, nous devions en même temps mener l’identification des populations (audiences foraines) et le désarmement des deux parties ex-belligérantes en vue de la structuration de la nouvelle armée réunifiée.
Le Président Sassou, en vieux routier de la politique, négocia tant et si bien qu’il finit par obtenir des acteurs politiques (Bédié, Ouattara, Banny, Gbagbo et moi-même), que nous signions un Accord afin de démarrer les deux processus. Il faisait fort tard ce jour-là, nous étions dans la nuit. Denis Sassou Nguesso nous demande alors de nous retrouver le lendemain pour la signature de l’Accord dans la journée. Or, ayant un mauvais pressentiment, je dis au Président Sassou :
- Monsieur le Président, vraiment, je préfère que vous nous fassiez signer l’Accord en question tout de suite. Je dois avouer que ma requête était intéressée, car je devais faire un voyage le lendemain et il était de mon intérêt que nous signions l’accord au plus vite.
- Non, me dit le Président Sassou. Sois patient, mon cher Guillaume. On le fera demain, et en même temps, il y aura une conférence de presse devant les journalistes.
Nous nous séparâmes donc sur ces entrefaites.
Or, quelle ne fut pas la surprise du Président Sassou Nguesso ? Le lendemain, quand on vient pour signer l’Accord, le Président Laurent Gbagbo nous informe qu’il ne signe plus l’Accord. Le Chef de l’Etat congolais se rendit compte que j’avais eu raison. Il dut repartir chez lui, à Brazzaville, sans avoir obtenu ce qu’il croyait pourtant tenir fermement la veille seulement.
Je crois que cette expérience commune de désillusion a sérieusement amené le Président Sassou à m’accorder encore plus de crédit. Car le lendemain, nous échangions, après la volte-face du Président Gbagbo :
- Voyez-vous, Président, je vous avais dit qu’il valait mieux signer tout de suite. Je suis petit, mais, si vous m’aviez écouté.
- Ah, Guillaume, me dit-il. C’est toi qui avais raison !
Dans la vie, il y a de ces détails qui font chavirer les choses. Cet épisode, nous allions l’évoquer à plusieurs reprises. Et ce, dans la bonne humeur.
Voilà comment s’est nouée la longue et profonde relation qui nous lie.
Je suis allé de nombreuses fois à Brazzaville. Parfois, je le retrouvais à Marbella pendant ses vacances. Et, à l’occasion, il nous imposait son régime et une cure de fitness. On était vraiment affamé. Et quelquefois, nous le laissions tout à son régime, et la nuit tombée, nous nous échappions (je ne citerai pas mon compagnon qui se trouve être une des filles du PR Sassou de peur qu’elle ne puisse plus utiliser ce stratagème) traîtreusement dans la ville pour nous gaver copieusement dans un des restaurants de la place. Le jour suivant, nous étions à la table du PR Sassou comme si de rien n’était. Résultat : la cure ne nous servait à rien. Nous en repartions tout aussi dodus. Le PR lui perdait plus ou moins 5 à 6 kilos. C’était original. A ma récente visite, alors que je lui en reparlais et enfin lui révélais notre malice, le Président me disait que depuis 2015, il n’a plus eu le temps de partir en vacances.
Eh oui, je m'en souviens encore...
La première fois, Brazzaville était encore en état de dévastation. Quand je vins le voir à Mpila, il était en plein effort de reconstruction de son pays. Et je l’ai vu progressivement faire remonter la pente aux institutions congolaises. Chaque année, j’allais participer aux fêtes nationales tournantes du pays. Par exemple, à Kinkala, à Madingou, etc.
Je me souviens aussi d’avoir été au 4ème anniversaire du décès d’Edith Bongo-Sassou, sa fille, à Oyo en 2012, si je ne m’abuse. Des danses traditionnelles congolaises avaient lieu. A un moment donné, le Président Sassou m’appelle :
-Fils, viens par ici ! Voici la danse réservée aux grands guerriers ! Je veux qu’on la danse pour toi !
J’en étais très ému, et j’esquissai aussi quelques pas de danse avec les danseurs.
Le Président Sassou est un homme d’Etat profondément conscient des intérêts de son pays et de l’Afrique. En tout cas, j’ai régulièrement été frappé par sa connaissance précise des problèmes de notre continent en général et de la crise ivoirienne en particulier.
Lorsque devenu Premier Ministre, il m’était arrivé de rencontrer le Président Sassou Nguesso, c’est avec la même fraternité de lutte que nous devisions. Rien de tout cela n’a changé, même lorsque pris dans la tourmente des affaires, occupé à poursuivre des études supérieures spécialisées, j’étais devenu moins disponible.
Je note que le Chef de l’Etat Ivoirien dans les années 2004-2010, le Président Laurent Gbagbo, n’a jamais manifesté la moindre hostilité (à ma connaissance) à l’égard de mes relations personnelles avec des Chefs d’Etat africains. Jamais, il n’a appelé un Président africain pour lui dire de ne pas me recevoir. Jamais, il ne m’a reproché tel ou tel voyage. Sous Laurent Gbagbo, j’avais en ma qualité de Premier Ministre, un avion de la flotte présidentielle à ma disponibilité permanente. Il avait de ce point de vue, une haute opinion de l’image de marque de l’Etat de Côte d’Ivoire. Et il savait donner de la considération et du respect aux institutions. Le disant, je suis loin de faire l’atalaku de Gbagbo. J’ai lu son récent livre, il y’a bien des points que je trouve critiquables et inexacts sur lesquels je reviendrai sûrement. Je trouve globalement que Gbagbo aurait pu faire acte de contrition dans son livre. Ça aurait soulagé bien des personnes. Même si cela est regrettable, ça ne m’empêchera guère de penser que sa place est en Côte-d’Ivoire après 7 ans de prison. Je continuerai à réclamer sa libération et celle de Blé Goudé. J’ai dans ma jeunesse fait l’amère expérience de la prison à la DST, à l’école de police, à la préfecture de police et à la Maca. Ce que je peux vous dire en ma qualité d’ancien prisonnier : « En tout cas PRISON, c’est pas bon. » De même que j’ai été heureux de retrouver Soul après 10 mois de prison. On peut critiquer un homme pour ses défauts, mais il faut aussi avoir l’honnêteté de souligner ses qualités, et ce, par acquis de conscience et de vérité.
Entre 2015 et cette année 2018, j’ai été moins disponible pour rencontrer le Président Sassou, mais le lien fort qui nous lie s’est naturellement entretenu. C’est donc avec bonheur, que trouvant ce moment de répit dans mes préoccupations, je suis allé passer ces moments intenses de vie familiale à ses côtés au Congo en ce début décembre 2018. Autant vous dire que j’aime les cultures de notre continent. Chaque séjour dans l’un de nos pays me replonge dans les merveilles naturelles et culturelles dont ils regorgent ! Avec le Président Sassou, cette fois-ci, nous nous sommes retrouvés trois fois en une semaine :
- La première fois, nous avons eu un long tête-à-tête de plus de quatre heures de temps.
- La deuxième fois, j’étais à ses côtés, avec ses petits-enfants venus de partout passer les fêtes d’anniversaire et de mariage de certains avec leurs grands-parents. Là, c’était la fille de Claudia Sassou qui fêtait sa renaissance.
- La troisième fois, j’ai retrouvé le Président Sassou autour d’un grand repas familial : tantes, oncles, neveux, cousins, frères, sœurs, étaient présents. Un homme qui partage ces moments avec vous vous porte à n’en point douter de l’affection. Et j’en mesure l’estime.
Pourtant, Chers Tous, je ne puis me priver de l’obligation de vous parler d’un fait pour le moins gênant, qui n’honore surtout pas notre pays et notre continent.
Pendant que j’étais à Brazzaville, un dignitaire de Côte d’Ivoire s’est permis d’appeler une personnalité congolaise pour s’indigner de la réception chaleureuse que le Président Sassou Nguesso m’accordait au Congo !
Cette vaine manœuvre relève tout simplement de la méchanceté et de la faiblesse d’esprit qui caractérisent ceux qui ne savent pas préserver l’image de marque de nos républiques et l’utile fraternité de vie qui doit subsister entre nos peuples.
Qui plus est, je voudrais rappeler quelques évidences.
Je suis tout de même et jusqu’à présent Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, je peux me déplacer sans que ce dignitaire ivoirien, fût-il important, ait quoique ce soit à y redire. Je ne dois me référer qu’au seul Président de la République!
Franchement, si je quitte demain mes fonctions de Président de l’Assemblée Nationale, je n’en serai pas moins chaleureusement reçu par le Président Denis Sassou Nguesso, comme par de nombreux autres Chefs d’Etat africains ! Les relations humaines ne se réduisent jamais aux seules nécessités de l’action politique. Et d’ailleurs, je crois savoir que les meilleures relations humaines se tissent par-delà la politique. Les Chefs d’Etat actuels, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, n’étaient-ils pas reçus par des Chefs d’Etat au pouvoir ? Soyons conscients que la roue de la vie politique tourne sans fin !
Au lieu de nous servir de telles nègreries, ce dignitaire devrait comprendre que l’Etat n’est pas une propriété privée. C’est l’organisation des pouvoirs publics ! C’est l’institution qui doit servir l’intérêt général ! Une fonction étatique est un mandat provisoire du peuple accordé à un Citoyen. Les fonctions étatiques sont un bail passé entre le peuple et ses dirigeants, pour un ou deux mandats ou plus, selon les règles de la constitution concernant chaque fonction.
J’ai eu honte devant cet incident fâcheux que seule la jalousie peut inspirer. Jalousie : le mot est lâché. Je suis allé consulter le dictionnaire pour m’assurer que je ne m’éloignais pas trop de la définition de ce mot. Car à force d’être familier d’un mot, on croit le connaître, ce qui n’est pas toujours évident. La jalousie voici ce qu’en dit le Larousse : « Dépit envieux ressenti à la vue des avantages d'autrui. » Pour moi la jalousie est ce feu envieux qui consume le jaloux sans que le jalousé n’ait un traitre indice. Dans l’affaire c’est le jaloux qui en souffre et le jalousé s’en bat les C…
Du reste j’ai promis à mes amis congolais de me rendre au mois de Mars prochain à Oyo pour le dixième anniversaire du décès de Mme Edith Bongo. Avis (aux jaloux) aux pêcheurs en eaux troubles...
C’est dans la même veine que j’ai lu avec surprise un récent article d'Africa Intelligence qui affirmait faussement que j’aurais décliné une audience avec le Président de la République de Côte d'Ivoire; ce qui est impensable, à moins de vouloir me porter préjudice ! Comment un Président d’Assemblée oserait décliner une audience avec le Président de la République ? Je ne me laisserais pas à aller à des confidences d’échanges entre le président de la République SEM Ouattara et moi-même. Pour la gouverne de tous, je parle régulièrement avec le Président de la République. Et mon voyage à Daoukro, j’ai pris le soin d’en informer le Président Alassane Ouattara. Du reste, M. Bédié qui lui-même a été Président de la République ne m’aurait pas toléré un tel manquement. Le reste du récit de l’article n’est que pure affabulation.
Voilà, chers Tous, sur quelle note je voudrais conclure la présente chronique.
J’espère que lors des deux précédentes, vous avez convenu avec moi que la solidarité, l’humilité et la reconnaissance sont des valeurs humaines cardinales pour l’élite politique africaine.
Je crois que cette 3ème chronique sur mon dernier voyage de Paris à Brazzaville tourne autour de deux idées-clés : la valeur de la fraternité humaine et l’importance de respecter la République dans l’image que nous en donnons à l’étranger. Continuons donc le bon combat : celui de la paix, de la prospérité et de l’Etat de droit sous nos latitudes !
Je vous souhaite une excellente semaine !
Votre, très chaleureusement,
Guillaume Kigbafori Soro
Soro révèle tout sur son voyage chez Sassou N’guesso et cogne un proche de Ouattara : « C’est le jaloux qui en souffre et le jalousé s’en bat les C… » - Photo à titre d'illustration