Deux ans après son lancement officiel, le Mutaa, le marché commun aérien africain, ne parvient pas à dépasser ses 24 signatures de départ soit seulement la moitié des 54 pays du continent.
Souhaitée par l'Union Africaine, qui promet deux millions et demi d'emplois, cette ouverture à la concurrence permettrait aux compagnies aériennes du monde entier d'atterrir sur le sol africain. Mais pour le moment, l'Afrique de l'Ouest, Sénégal en tête, préfère protéger ses compagnies nationales. Le tout nouveau lancement d'Air Sénégal est en la dernière preuve.
Le jeu de mot est facile mais les annonces en wolof à bord des premiers vols de la nouvelle compagnie Air Sénégal a donné un sérieux coup dans l’aile du projet de « ciel africain partagé » ! Aujourd’hui, les vols africains n’occupent que 3% de la totalité du marché.
Corsair priée de faire ses bagages
En jouant cavalier seul, préférant protéger son marché national, selon Pierre Georges, expert de l’aviation africaine, Dakar a sérieusement gâché la fête de l’Union africaine. L’UA qui tient tellement à cette ouverture du ciel a tenté de convaincre le gouvernement avec la perspective d’importants bénéfices : « Air Sénégal a été lancé en octobre dernier mais le gouvernement sénégalais, explique-t-il, avait préparé le terrain dès le printemps. C’est la compagnie française Corsair qui en a fait les frais puisqu’en février, elle a été obligée de partir. Jusqu’en 2018, chaque pays africain négociait son ciel en accords bilatéraux, pays par pays ? Avec ce Mutaa, le signataire s’engage à recevoir n’importe quelle compagnie homologuée. Mais le Sénégal n’est pas le seul à bouder le projet de marché unique de l’aérien. L’Afrique du sud, l’Éthiopie, l’Égypte, le Kenya et le Nigéria ont été les premiers signataires. D’une façon générale, les grands pays d’Afrique de l’Ouest boudent le projet par crainte d’une trop grande concurrence. »
C’est justement sur cet équilibre entre concurrence débridée et protectionnisme que se cristallise les désaccords. Lors du lancement officiel en 2018 en Éthiopie, l’Union africaine annonçait ce marché partagé avec la promesse de créations d’emplois. Près de deux millions dans les secteurs du tourisme, du bâtiment et du commerce.
La pollution, nouveau moteur de persuasion
Et le consommateur dans tout ça ? Il y gagnerait avec des billets moins chers, une plus grande offre et sans doute une meilleure qualité de vol. C’est la présidente de groupe Air France, Anne-Marie Couderc qui supervise également la compagnie à bas prix Transavia qui le dit : « Je souhaite l’élargissement de cette ouverture du ciel africain. Il nous permettrait de faire des économies de carburant grâce à une meilleure optimisation des trajets. En réduisant le nombre d’escales et donc de kilomètres au-dessus du continent, les voyageurs auraient la satisfaction de voyages écoresponsables. »
L’Union européenne et la Chine en intime concurrence
Les compagnies low-cost de toutes les grandes compagnies étrangères encouragent ce marché unique du ciel africain. Et c’est la Chine, en multipliant ses accords avec les pays d’Afrique de l’Est qui va sûrement accélérer les choses. En tout cas, l’exemple tunisien le montre. Après des années de report, la signature d’une ouverture du ciel tunisien à l’Union européenne semble cette fois en bonne voie. La Tunisie pourrait copier le modèle marocain en autorisant ses aéroports aux compagnies de l’Union européenne. Annoncé pour le début 2020, cette ouverture permettrait à tous les avions de voler sur les mêmes destinations que la compagnie nationale tunisienne, Tunisair.
Un manque de pilotes
Cette évolution du marché avec une montée en flèche du trafic et du nombre de passagers va directement bousculer un autre secteur, celui de la formation des pilotes de ligne africains. Des compagnies ont déjà sonné l’alerte, manque de formation ou salaire trop bas, trop de pilotes africains s’en vont travailler à l’étranger.
Un Airbus A330-900 de la compagnie Air Sénégal (image d'illustration). AFP/Pascal Pavani