Des pièces d’identité de tous genres, de tous pays, entrelacées et superposées, on en trouve de plus en plus étalées aux abords de certains endroits à grande fréquentation, notamment les intersections, comme au grand carrefour de Koumassi, sur le boulevard Valéry Giscard d’Estaing.
Ces pièces égarées que retrouvent certaines personnes, un groupe d’individus en a fait son business. Ils les commercialisent au vu et au su de tous au prix de 500F.cfa à 2000F.cfa, selon la valeur de la carte. Comment cette activité s’exerce t-elle ? Est elle légale ? Comment la population la perçoit-elle ? Ce sont ces questions qui ont motivé notre reportage.
Lundi 12 août 2013, il est un peu plus de 10h, au grand carrefour de Koumassi, à l’entrée du black market appelé « Djassa ». Nous nous approchons d’un jeune homme qui s’est établi à cet endroit depuis peu et qui propose au public les cartes d’identité à sa disposition. Sur son étal de fortune, on peut voir diverses pièces : cartes d’identité nationale, attestation d’identité, cartes consulaires, passeports, cartes professionnelles, badge, etc. On y trouve presque tout. Mais comment ces cartes tombent-elles dans les mains de ces commerçants inédits ? Une question dont nous n’aurons pas complètement la réponse auprès de ce jeune homme, à cause de son handicap.
En fait, ce dernier est un sourd-muet. Il n’a pas manqué de le mentionner sur sa fiche des prix, sur laquelle d’ailleurs il explique brièvement la collecte des cartes. « Moi, je suis un sourd muet. Je vais chercher où se trouvent les cartes d’identité et pièces perdues. Je n’ai pas volé. » Voilà qui est on ne peut plus clair. Ses explications seront renchéries par Siaka, un marchand de chaussures dans ledit marché, qui sert avec ses collègues de protecteurs à notre commerçant de cartes. Selon lui, ce commerce est une activité génératrice de revenus créée par une association de sourds-muets.
« Quand je ramasse une pièce, je viens leur donner. Parfois, ils me donnent deux cents francs Cfa pour que j’achète de la cigarette. Mais par moment, je leur donne gratuitement. Tous ceux qui ramassent des pièces viennent les déposer auprès d’eux », a-t-il dit. En notre présence, des personnes qui ont perdu leurs cartes viennent tenter de les retrouver. Pour fouiller, il faut d’abord payer cent francs Cfa. Petit à petit le nombre de demandeurs s’agrandit. Mais beaucoup seront décontenancés quand ils apprendront que pour le retrait d’une carte retrouvée, il faut payer entre 500 et 2000 F.Cfa.
Ce fut le cas d’un musicien qui a appris par le biais de ses amis que sa carte qu’il a perdue une semaine avant, au cours d’une agression, se trouve avec le commerçant du black market. Effectivement, il la retrouve avec joie après quelques instants de fouille et nous livre ses sentiments : « c’est bien. On remercie ces personnes parce que ce n’est pas évident de perdre ces pièces de nos jours et les retrouver facilement… mais le fait de payer 2000 Fcfa pour sa propre pièce, moi même cela m’a frustré. Je ne peux payer pour cela. Je ne sais pas si on ne peut pas revoir pour améliorer.»
Face à son refus de payer la somme indiquée, une horde de vendeurs du « Djassa » va s’en prendre à lui et exiger qu’il redonne la carte au sourd-muet. Ce qu’il sera obligé de faire, malgré lui, s’en allant en grogne.
Cette activité est-elle légale. Pour en savoir, nous nous déportons au commissariat du 6ème arrondissement de Koumassi, à quelques encablures du marché. Un officier supérieur de la police, qui a voulu répondre à notre préoccupation sous le sceau de l’anonymat, a indiqué que collecter des objets perdus telles que des cartes n’est pas un délit. Par contre cela devient une infraction lorsque l’on monnaie ces objets. Selon lui, les marchands de cartes retrouvées n’ont pas le droit de réclamer de l’argent à leur propriétaire qui les retrouve auprès d’eux. « Ils doivent faire du bénévolat. Dans le cas contraire, il s’expose à des poursuites si une plainte est portée contre eux », a-t-il fait savoir. Certains usagers ne sont pas d’avis avec la Police, mais en attendant, le commerce de cartes égarées gagne du terrain.
César DJEDJE MEL
Un commerce inédit de cartes d'identité égarées se développe à Abidjan - Photo à titre d'illustration