Samba Koné est un ex-membre du ''commando invisible''. Il a également été le président des Brigades de dignité d'Abobo (Bdd). Trois ans après la prise du pouvoir par Alassane Ouattara, il revient sur son apport à la victoire et dénonce ce qu'il considère comme les mauvaises pratiques du régime d'Abidjan.
Vous êtes un ex-membre du commando invisible et des Brigades de dignité d'Abobo (Bdd). Qui êtes-vous en réalité et quel a été votre rôle dans la crise postélectorale de 2010-2011 ?
Samba Koné :Je voudrais, avant tout propos, dire merci à tous ces jeunes et toutes ces braves femmes qui se sont sacrifiés pour la liberté. Je rends hommage à tous ceux qui sont tombés pendant ces moments difficiles de la crise. Je suis issu d’une famille pauvre ; fils de feu Mamadou Koné et de feu Sanogo Nemita, je suis le petit fils de feu Sékou Sanogo (premier opposant au président Houphouët-Boigny, ex-conseiller géneral, ex-responsable politique de l’Entente des indépendants et ex-grand conseiller de l’Aof).
Je voudrais demander à ceux qui sont restés débout, de ne point se décourager car les plus grandes luttes ont toujours oublié les plus grands combattants. Un adage dit ceci : « Les grandes luttes sont planifiées par des savants, les braves guerriers exécutent et les poltrons en profitent ». Je voudrais aussi leur dire que : ''c’est vous qui avez porté au pouvoir le président de la République, Alassane Ouattara.
Vous avez mené, pendant plus de 3 mois, des combats sans forces d’interposition et sans cessez-le-feu. Vous n’avez pillé aucun sous-sol. Toutes les banques sont restées intactes. Pour répondre à votre question, je pourrais dire que j'ai été à la racine de la résistance à Abobo. Je l’ai créée le 27 novembre 2009 à l’espace Marley d’Abobo, et je l’ai nommée ''les Brigades de Dignité (BDD)'' en présence de la presse de l’opposition à l’époque, aujourd’hui au pouvoir.
Je n'étais pas sur le terrain parce que tout simplement, ceux qui se sont accaparés le mouvement à un moment donné pour en faire un mouvement de prise du pouvoir, ne répondaient pas à mes aspirations. Alors, j’ai dû me réfugier dans une ville proche d’Abidjan afin de participer à la coordination du combat. Je voudrais dire que l’arrestation de Laurent Gbagbo s’est faite sur mes recommandations et mes instructions.
Ceci relève d’un secret jamais dit. Je n’en dirai pas plus. Voici ce que le vrai commando invisible a fait. Ceux qui ont mis à exécution nos recommandations savent le résultat qu'ils ont eu, et ceux qui se sont entêtés, malheureusement, ne sont plus de ce monde pour en témoigner.
Trois ans après cette crise, le président Alassane Ouattara est au pouvoir et on voit les grands chantiers qu'il réalise. Vous devez être satisfait du travail que vous avez abattu. N'esqt-ce pas ?
S.K : Vous savez, il ne faut pas confondre la guerre à la lutte révolutionnaire. Dans la guerre, on progresse, on fait des prisonniers, on occupe des espaces, des territoires, alors que la lutte consiste à se défendre soi-même et à défendre les autres. On repousse l’ennemi pour se protéger jusqu’à ce que l'ennemi accepte vos revendications. Cette lutte peut se faire avec les armes ou sans les armes.
Ainsi, lorsqu’on fait le bilan de cette victoire qui se manifeste par la défaite de l’ennemi (Laurent Gbagbo), il faut savoir les raisons pour lesquelles on a pris les armes. Dans le cas précis, il y avait ceux qui luttaient pour survivre, ceux qui luttaient pour la prise du pouvoir. Il y a aussi ceux qui luttaient rien que pour le départ du président qui était en place, et pour terminer, il y a ceux qui luttaient avec un esprit d’équité, de justice et de démocratie.
Donc c'est à ceux qui luttaient pour que Alassane Ouattara soit au pouvoir de faire le bilan. Quant à nous autres, nous pensons qu’il est temps de comprendre que nos objectifs ne sont pas encore atteints, à savoir, la justice, la démocratie exemplaire et participative, la lutte contre l’impunité, le désordre dans l’armée, la traque aux pauvres, la pauvreté grandissante, la corruption et la gabegie au sommet de l’État.
Quant à la construction des ponts et des routes, nous trouvons que ce sont des moyens et non la finalité. Ce ne sont pas des miracles. Le miracle pour nous, c’est de voir le prix du riz et du carburant baisser de moitié, la mise en place d’une meilleure politique sociale et non de préserver le pouvoir à travers l’entretien de milices.
Aujourd'hui, le ''commando invisible'' n'existe plus. Que deviennent ces nombreux jeunes que vous avez dirigés pendant tout ce temps ?
S.K : Nombre de ces jeunes estiment que j’avais raison quand j’ai décidé de me retirer. Car 80 % de ces jeunes se retrouvent aujourd'hui à la rue.
Justement, il se dit que ''les microbes'' sont des enfants des membres du commando invisible qui reprennent ce que leurs parents ont fait pendant la crise à Abobo. Confirmez-vous cela ?
S.K : Non, ces jeunes-là (microbes) ont perdu toute raison de vivre. Il faut que leurs parents prennent leurs responsabilités en dénonçant ceux qui posent ces actes ignobles. C’est grave, ce phénomène de microbe.
Vous vous plaignez de ne pas profiter des fruits de votre combat. Vous dénoncez le fait que votre lutte ait été dévoyée, de même que l'ingratitude de vos mandataires...
S.K : Non, je suis désolé, moi je n’ai pas été mandaté. Je suis un homme libre et je vivais en homme libre. Je pleure pour ces jeunes qui n’ont plus d’espoir, et qui ont tout abandonné pour les politiciens. Mes cris sont ceux des sans voix. Nous interpellons les gouvernants sur leurs comportements.
Après votre action, l'ancien président Laurent Gbagbo a été emprisonné à la Cour pénale internationale (Cpi). Êtes-vous aujourd'hui satisfait ?
S.K : Vous savez, il n’y a pas de résultat sans examen, et il n’y a pas d’examen sans avertissement. Souvenez-vous qu’au plus fort de la crise, je fus le seul jeune leader à lancer un appel sur les antennes de la radio Onuci Fm à l’endroit des Jeunes Patriotes proches de Laurent Gbagbo pour leur demander de quitter les rues pendant qu’il était encore temps. Je leur ai dit qu'ils étaient l’avenir du pays, et que par conséquent, ils devaient préserver leur vie.
Malheureusement, ces appels sont restés vains. Ce jour là, j’avais voulu que le Président Laurent Gbagbo en fasse de même. Mais rien. Que pouvions-nous faire d’autre. Souvenez-vous que le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, avait prédit que Laurent Gbagbo irait à La Haye. C’est là qu’il aurait dû changé sa politique.
Aujourd'hui, que répondez-vous à ceux qui estiment que pour plus d'impartialité dans le dossier ivoirien à la Cpi, il faudrait que d'autres personnalités, notamment du camp du président Ouattara, soient envoyées à La Haye ?
S.K : Écoutez, lorsque nous avons mis sur pied le Comité national de sensibilisation et de moralisation (Cnsm, un mouvement visant à sensibiliser la jeunesse sur les méfaits de la guerre et sur la nécessité d'aller à la paix et à la réconciliation), notre objectif était d'aider à construire une justice équitable comme celle que nous avait promis Monsieur Alassane Ouattara au soir de son investiture sur les antennes de Radio France internationale (Rfi) et de France24.
Il avait dit que tous ceux qui seraient accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ne bénéficieraient d’aucune faveur. Nous avons eu confiance en lui et nous avons cru en sa parole. Mais hélas ! C’est le contraire que nous voyons. Aujourd’hui, le temps nous donne raison. Si on n'y prend garde, ceux qu'il protège pourraient ne plus lui obéïr.
Mais moi, j’ai deux questions à poser au président de la République : si un jour vous n’étiez plus là, que serait la Côte d’Ivoire avec toutes ces personnes accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ? Deuxièmement, vous qui êtes un homme réputé pour votre intégrité et votre compétence en matière de finance à travers le monde, pourquoi gardez-vous à leurs postes tous ceux qui sont accusés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes économiques ?
L'objectif de la création du Cnsm était la recherche de la paix et la lutte contre l'impunité. Quel bilan faites-vous de vos actions à ce jour ?
S.K : Je n’en sais rien, je laisse le soin au peuple d'en juger. Quant à nous, nous changerons de méthode dans les jours qui suivent. La phase de sensibilisation étant terminée, nous engageons la lutte sur le terrain. Je vous le dis, notre pays est en danger et j’en appelle à la conscience de tous les (...) Lire La suite sur Linfodrome
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