Ce mardi 28 août, un tribunal suisse va condamner Pascal C. à 18 mois de prison avec sursis. C’est l’aboutissement d’une « procédure simplifiée » négociée entre la justice suisse et l’accusé, ancien employé du négociant pétrolier Gunvor. Pascal C. se voit reprocher le versement de pots-de-vin au Congo et en Côte d’Ivoire. Une corruption qui éclabousse le clan du président congolais Sassou Nguesso, d’après la justice suisse.
Il ne voulait pas être le seul à porter le chapeau. Il a donc vidé son sac devant les juges avant de négocier sa peine. Pascal C., ancien employé de Gunvor, est condamné aujourd’hui mardi 28 août à 18 mois de prison avec sursis au terme d’un arrangement conclu avec le MPC, le ministère public de la Confédération suisse. Selon l’acte d’accusation que RFI a pu consulter, il a admis avoir « participé à des schémas de corruption » impliquant des officiels congolais et ivoiriens. L’acte d’accusation précise que la peine, négociée entre l’ancien trader et la justice, « a été réduite au maximum possible » en raison de « son excellente collaboration ».
Le parquet suisse avait ouvert l’enquête en 2011 après un soupçon de blanchiment d’argent émis par un établissement bancaire. Durant sept ans, les magistrats ont enquêté sur les activités de Pascal C. et de son employeur, la société de trading pétrolier Gunvor. Au moins trois « ententes corruptives » ont pu être mises au jour. Les faits incriminés remontent aux années 2007-2012. A l’époque, Pascal C., employé du négociant pétrolier Gunvor, basé à Genève, est chargé de développer les affaires de la compagnie en République du Congo et en Côte d’Ivoire. L’enquête judiciaire révèle que Gunvor a versé des pots-de-vin à neuf responsables ivoiriens et congolais, en échange de l’obtention de cargaisons de pétrole.
Le clan Sassou Nguesso impliqué
Au Congo, un premier « pacte corruptif » a été conclu entre 2008 et 2009 avec Edgar Nguesso, neveu du président Denis Sassou Nguesso. Gunvor a obtenu une cargaison de 283 001 barils de fuel de la société CORAF (Congolaise de raffinage). « Afin d’obtenir ladite cargaison, Pascal C. a établi une entente avec Edgar Nguesso selon laquelle une rémunération lui sera octroyée », affirme l’acte d’accusation du procureur fédéral. 200 000 dollars au total.
La deuxième affaire pour laquelle l’ancien employé de Gunvor a reconnu sa culpabilité remonte à juin 2010. A l’époque, Gunvor conclut un « contrat de commercialisation du brut » pour une période de trois ans avec la SNPC, la Société nationale des pétroles du Congo. Ce contrat va permettre à Gunvor de prendre pied sur le marché congolais. Selon les enquêteurs suisses, « pour obtenir le contrat, Pascal C., en collaboration avec d’autres employés de Gunvor, établit une entente corruptive avec Maxime Gandzion ». Ce dernier n’est autre que l’ancien beau-frère de Denis Sassou Nguesso et l’oncle de son fils, Denis Christel Sassou Nguesso, qui à l’époque dirigeait l’une des branches de la SNPC. Cette « entente corruptive » va permettre, selon l’acte d’accusation, de « rémunérer Maxime Gandzion et la famille du président de la République du Congo, soit en particulier Denis Christel Sassou Nguesso et son père Denis Sassou Nguesso ».
La justice suisse a mis la main sur des notes manuscrites rédigées par Pascal C. « confirmant le pacte corruptif initial et précisant certains détails, soit le ratio et les montants à répartir entre les protagonistes ». Entre 2010 et 2011, Gunvor a obtenu un total de 13 millions de barils de pétrole brut, en échange de commissions d‘environ 15 millions de dollars. Des montants versés à des intermédiaires chinois puis en partie reversés en liquide à la famille du président Sassou Nguesso, affirme l’enquête.
Toujours au Congo, l’enquête révèle un autre « pacte corruptif » passé avec Gilbert Ondongo qui était alors ministre des Finances. Il s’agissait, selon la justice suisse, d’obtenir du ministre la validation des accords de préfinancement des cargaisons de pétrole. Car pour décrocher le contrat de commercialisation du brut sur une période de trois ans, Gunvor s’est engagé dès 2011 à préfinancer les opérations, prêtant ainsi aux autorités congolaises en plusieurs tranches un montant total de 625 millions de dollars.
Ces préfinancements, aussi pratiqués par d’autres sociétés de trading comme Glencore et Trafigura, et que Brazzaville avait cachés au Fonds monétaire international (FMI), ont contribué à faire exploser la dette du Congo. Après la chute des cours du pétrole en 2014, Brazzaville s’est retrouvé à devoir rembourser au prix fort du pétrole dont les cours sur les marchés mondiaux avaient été divisés par deux. Aujourd’hui encore les conséquences de cette époque se font sentir et les autorités congolaises ne sont toujours pas parvenues à un accord avec le FMI.
En Côte d’Ivoire, Gunvor a appliqué les mêmes méthodes corruptives. En 2009 et 2010, le négociant suisse a obtenu plusieurs cargaisons de pétrole brut auprès de la société PETROCI pour un préfinancement de 90 millions de dollars. Selon le parquet suisse, les bénéficiaires des pots-de-vin versés par Gunvor via Pascal C. étaient Kassoum Fadika, directeur général de PETROCI au moment des faits, Laurent Ottro, l’oncle du président de l’époque Laurent Gbagbo et président du conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage et enfin Aubert Zohoré, ancien conseiller économique du président Gbagbo. A eux trois, ils auraient reçu 7 millions et demi de pots-de-vin, selon l’acte d’accusation.
La direction de Gunvor au courant des pratiques de son employé
Dans toutes ces affaires, la justice suisse insiste sur deux points. D’abord Pascal C. a agi « avec pleine conscience et entière volonté à des fins corruptives ». Sa responsabilité est clairement engagée et il ne pouvait pas ignorer que ses actions conduiraient à verser des pots-de-vin à des dirigeants. Deuxième point, le ministère public suisse affirme dans l’acte d’accusation que Pascal C. n’agissait pas seul et de sa propre initiative. Au contraire, il « a baigné dans une atmosphère de travail où la corruption aurait apparemment été un procédé d’affaires accepté ». Ses transactions impliquaient la participation de ses collègues de Gunvor et les paiements étaient effectués par les services financiers de la société.
Par ailleurs, le patron actuel de Gunvor, le Suédois Torbjörn Törnqvist, était parfaitement informé de certains des pactes corruptifs de son employé. Or, la société Gunvor - qui a licencié Pascal C. en 2012 - s’est toujours défendue en soutenant que son employé avait agi seul. Dans un communiqué envoyé par le service de presse, Gunvor affirme que la société « n’étant pas partie prenante à la procédure, elle a été dans l’impossibilité de se défendre ». La société reconnaît indirectement que les contrôles anticorruption présentaient à l’époque des lacunes. « Gunvor a depuis longtemps révisé ses contrôles de conformité et applique désormais des règles rigoureuses ».
Gunvor et l’Afrique ou comment diversifier ses profits
Depuis cette affaire, Gunvor s’est retirée du Congo et de la Côte d’Ivoire et plus généralement d’Afrique. Le continent ne représente désormais que 5% de ses activités de trading pétrolier. Elle y était pourtant arrivée en 2006 avec de grandes intentions. Cette société est apparue dans le monde très fermé du trading pétrolier au début des années 2000. Fondée par le Russo-finlandais Guennadi Timochenko et le Suédois Torbjörn Törnqvist, la société s’impose rapidement comme le partenaire numéro un des pétroliers russes, vendeur attitré des géants étatiques Rosneft et Gazpromneft. En 2007, elle réalisait un tiers des exportations de brut russe, selon le rapport très complet que l’ONG suisse Public Eye a consacré à cette société. « De fait, entre 2005 et 2007, le groupe multiplie son chiffre d’affaires par 8,5 passant de 5 à 43 milliards de dollars en trois ans », a calculé Public Eye.
Entretemps, Gunvor s’est installée à Genève, place centrale du trading mondial de matières premières. Mais la dépendance au pétrole russe pousse les dirigeants de Gunvor à diversifier leurs activités et c’est ainsi que la société s’intéresse au marché africain. « Leur stratégie consiste, d’une part à s’assurer d’autres sources de profits au cas où le robinet russe viendrait à se fermer et, d’autre part, à rassurer les investisseurs sur cette dépendance lors des levées de fonds sur le marché des capitaux », note Public Eye. Entre 2006 et 2007, la société va donc débaucher des traders spécialisés sur l’Afrique auprès de ses concurrents. Gunvor cherche alors s’installer au Nigéria, en Angola et en Côte d’Ivoire, sans grand succès. Elle s’attaque alors à la République du Congo en multipliant les contacts avec les intermédiaires locaux, plus ou moins proches de la présidence.
L’activisme développé envers le Congo paie rapidement. « Entre septembre 2010 et juin 2012, Gunvor a obtenu au Congo, sans appel d’offres, le droit d’exporter 22 cargos de brut d’une valeur d’environ 2,2 milliards de dollars », affirme Public Eye. Parallèlement, Gunvor accorde six préfinancements de 125 millions de dollars chacun à la SNPC. Selon l’ONG suisse, ces opérations ont permis au négociant d’accumuler environ 110 millions de dollars de profits. En 2011, plus de 20% des profits du groupe proviennent d’Afrique…
Les affaires congolaises auraient pu continuer sans entraves pour le Suisse, mais en décembre 2011 la justice de la Confédération helvétique ouvre une instruction pénale « contre inconnus » pour blanchiment d’argent suite à une alerte de l’organisme en charge de la lutte contre ces pratiques, lui-même alerté par la banque suisse Clariden. Dès lors, Gunvor perd le marché congolais. Elle accuse son collaborateur, le « business developer » Pascal C., d’être à l’origine des malversations et le licencie.
Une thèse du coupable unique que la justice suisse vient aujourd’hui mettre à mal. Public Eye de son côté découvre qu’en 2014 Gunvor espère encore récupérer une part du gâteau congolais. L’ONG s’est procurée une vidéo où l’on voit un responsable de Gunvor, filmé à son insu, proposer au cours d’une réunion d’affaires de payer des commissions via une société russe, afin d’éviter « les emmerdes ». Une pièce à conviction qui est aujourd’hui dans les mains de la justice suisse.
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