Un Ivoirien a été retrouvé inconscient dans un boisé à Lacolle, près de la frontière américaine, le 5 mars dernier. Mamadou, dont le nom de famille ne peut être mentionné pour des raisons de sécurité, a décidé de traverser la frontière à ses risques et périls, après une tentative infructueuse de demande d'asile au poste frontalier.
Blotti sous un manteau d’hiver dans une petite salle de visite du Centre de détention de l’immigration de Laval, Mamadou grelotte en racontant son histoire.
Ses pieds sont enflés, décolorés. Ses mains, si douloureuses qu’il est incapable de tenir un stylo entre ses doigts.
« Je suis passé par l’enfer en marchant, je vous le dis », a-t-il confié lors d’une entrevue au réseau CBC, « J’ai encore froid. »
Une traversée dans le noir
Mamadou a commencé son périple le soir du 4 mars, alors que le thermomètre affichait -15°C.
C’était sa deuxième tentative d’entrée au Canada. Quelques jours avant, il s’était présenté à la douane de Lacolle pour demander asile. Il y avait passé deux nuits avant de devoir rebrousser chemin.
Déterminé, Mamadou a alors décidé d’attendre près du poste frontalier, jusqu’à ce que la nuit tombe. Il dit avoir marché pendant environ neuf heures, avant de s’effondrer dans les bois.
Je me suis dit : "C’est bon, je veux mourir. Laissez-moi mourir sur mon chemin, je ne veux pas y retourner."
Mamadou
Il n’a repris connaissance qu’à l’hôpital, où on l’a menotté à son lit, puis escorté au Centre de détention de Laval, où il se trouve depuis vendredi.
D’Abidjan à New York
Mamadou dit avoir passé les 10 dernières années à New York, où il travaillait comme chauffeur de taxi.
Il raconte avoir quitté Abidjan en pleine guerre civile. Son père, un homme d’affaires prospère, a été tué par des rebelles sous ses yeux. Sa maison, brûlée.
À son arrivée aux États-Unis en 2006, sa demande d’asile a été rejetée. Les agents d’immigration lui ont tout de même permis de rester temporairement, étant donné les risques que représentait son retour en Côte d’Ivoire.
L’élément déclencheur
Au début du mois, alors qu’il travaillait de nuit, Mamadou a reçu l’appel d’un ami lui disant que les agents d’immigration avaient fait irruption à son appartement du Bronx.
« Je savais qu’un jour, cela allait m’arriver », dit-il.
Apeuré, il affirme être aussitôt parti à Philadelphie, où il a emprunté de l’argent à quelques amis, avant de sauter dans un taxi en direction de Plattsburgh.
Il admet avoir fait peu de recherches avant d’entamer sa route vers le Canada. Il était attiré par la réputation d’un pays paisible et craignait d’être expulsé en Côte d'Ivoire s'il demeurait aux États-Unis.
Mais en se présentant au poste frontalier de Lacolle, où sa demande était condamnée dès le départ en raison de l’accord sur les tiers pays sûrs, Mamadou a épuisé ses chances d’être accueilli comme demandeur d’asile au Canada.
En vigueur depuis 2004, l'entente sur les tiers pays sûrs contraint un migrant à déposer sa demande d’asile dans le premier pays auquel il accède. Ainsi, le Canada n’accepte pas les réfugiés ayant d’abord rejoint les États-Unis et vice-versa.
De plus, en vertu de la loi canadienne sur l’immigration, une personne ne peut faire une demande qu’une seule fois pour obtenir le statut de réfugié.
Mamadou est maintenant confronté à la déportation en Côte d’Ivoire. Il comparaîtra jeudi pour déterminer s’il restera en détention en attendant son renvoi.
Entente sur les tiers pays sûrs
L’avocat de Mamadou, Éric Taillefer, croit que l’accord entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs pousse les réfugiés à risquer leur vie.
Plusieurs avocats, militants, politiciens et organismes, tels qu’Amnistie internationale, dénoncent cet accord, arguant qu’il encourage le passage illégal et met en danger les réfugiés.
Il a tenté de traverser la frontière, mais s’est retrouvé à l’hôpital […] C’est une conséquence directe de l’accord.
Éric Taillefer, avocat en immigration
Mais le ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, a déclaré qu’il n’est pas convaincu que l’accord soit la raison pour laquelle tant de demandeurs d’asile prennent le risque de traverser illégalement la frontière au Canada.
Avec Radio Canada
Une vague de migrants traversent clandestinement la frontière Canada-États-Unis depuis janvier 2017. Photo : Radio-Canada/Austin Grabish