Les agents de la SIR dans le collimateur du pouvoir.Sous la pression des bailleurs de fonds qui exigent une gouvernance transparente dans les entreprises publiques, des dizaines de travailleurs de Petroci ont été licenciés. Des licenciements de cadres qui ont pris l’allure d’une chasse aux sorcières.
Les institutions de Bretons Wood ont fini par avoir gain de cause suite à une pression régulière sur le pouvoir ivoirien en demandant l’assainissement de la gouvernance économique dans les entreprises publiques. Les partenaires financiers et techniques internationaux, pour accorder le point d’achèvement de l’initiative PPTE à la Côte d’Ivoire ont mis sur la table une panoplie de mesures astreignantes. La Petroci, la SIR, les banques publiques, les mines, la filière café-cacao, le secteur énergétique… sont autant d’entités et de secteurs publics sur la gestion desquels pèsent, de lourdes suspicions. Elles ont fait l’objet d’une revue régulière de missions des partenaires financiers venus de Washington.
L’on se souvient que l’une de ces missions avait demandé à l’Etat de Côte d’Ivoire de majorer le coût de l’électricité afin de faire face aux coûts d’exploitation. Cette injonction ne s’était pas fait attendre, le secteur industriel a enregistré depuis 2013 une augmentation de 10% du coût de l’électricité. La psychose avait commencé à gagner les ménages qui craignent à leur tour une hausse du coût de l’électricité domestique pour rester conforme aux injonctions de la mission conjointe FMI, Banque mondiale et BAD. Au fil des années, les mesures des bailleurs de fonds ont commencé à prendre forme. Après le secteur énergétique et le secteur bancaire (les privatisations en cours), c’est le secteur pétrolier qui, au regard de la vague de licenciement observée à la Petroci, est passé à la loupe.
Du saupoudrage
La Société Nationale d’Opérations Pétrolières (PETROCI) fait actuellement l’objet d’un dégraissage d’effectif qui a pris malheureusement les allures d’une chasse aux sorcières. Le pouvoir ivoirien a saisi l’opportunité des mesures d’assainissement de la gouvernance publique pour régler ses comptes à tous ceux qui ne sont pas forcement favorables à la nouvelle direction générale. De nombreux agents de cette entreprise pétrolière ont été remerciés pour motif économique sous l’autorité du ministère du Pétrole et de l’Energie. Ces licenciements, pour ne pas paraître une chasse aux sorcières comme ce fut le cas à la Gestoci (l’entreprise publique de stockage de gaz), il y a de cela deux ans, ont été fait après des audits qui, dit-on sont relatifs au plan stratégique de l’entreprise. Deux cabinets sont alors commis à la tâche : 2AC et Mc KINSEY. Ces cabinets mènent un «audit organisationnel et social».
L’objectif principal de cette étude est d’évaluer le personnel sur une base documentaire et/ou au moyen d’entretiens individuels. Les auditeurs également avaient pour mission d’examiner l’adéquation du personnel avec les postes, d’évaluer lesdits postes à partir de fiches de postes exhaustifs et d’ateliers. En décembre 2014, cette tâche est confiée au cabinet DRH Conseil, sélectionné après un appel d’offres. Seize semaines durant, le cabinet mènera ses activités « en toute indépendance » ( ?). Cette mission produit des résultats pour ses commanditaires.
L’étude de DRH Conseil révélera que la Petroci est en sureffectif, notamment à la direction des Ressources Humaines et au département de la Communication et du Protocole, deux directions jugées non essentielles parce que n’étant pas au cœur du métier de la société. Elles totaliseraient plus d’une cinquantaine d’agents. Mieux, le rapport de DRH Conseil indique que la grande majorité des agents de ces deux directions ont « un faible potentiel professionnel » (!?). Aussi, recommande-t-il le départ des agents à faible potentiel professionnel. Ceux qui ont un «potentiel moyen» doivent faire l’objet d’un déploiement ou être formés. Pour la direction générale de la Petroci, ces licenciements peuvent se justifier du fait de la conjoncture actuelle sur le marché du pétrole.
« La Petroci serait endettée et ses appels de fonds sont restés insatisfaits, une forte baisse due à la chute du cours du pétrole et un exercice 2015 déficitaire d’environ 24,8 milliards de francs CFA », fait-elle savoir. Très vite les têtes à abattre ont été identifiées. Avec la complicité des cabinets experts commis aux audits, les conseillers et coordonnateurs sont montrés du doigt au motif qu’ils seraient surpayés. 10 millions par mois est le chiffre avancé. La direction générale appuyée par le ministre de tutelle Adama Toungara est satisfaite des audits qui, selon eux, permettront de garantir la pérennité de la Petroci en lui permettant de remplir les missions qui lui sont assignées. La nouvelle direction générale a entrepris de mettre en œuvre les conclusions et recommandations les plus urgentes de l’audit de DRH Conseil pour, dit-il, « bâtir un budget 2016 plus réaliste, basé sur le prix actuel du baril qui est d’environ 30 dollars US ».
Ainsi, le vendredi 8 janvier 2016, il fut procédé à la suppression de 10 postes rattachés à la direction générale en violation de toutes les règles de licenciement en vigueur dans le pays. La seule explication donnée par les nouveaux responsables de la Petroci est la suivante : « L’existence des fonctions concernées par le licenciement constituait des doublons structurels de certaines directions ou départements ». Dans la foulée, le mardi 12 janvier 2016, une notification de licenciement a été faite à 40 agents, classés par l’audit comme à «faible potentiel» et donc ne montrant pas de capacité à tenir leurs postes de manière satisfaisante. Par ces mesures, la direction générale de Petroci dit être à mesure de redonner un second souffle à l’entreprise.
Culture de l’impunité
A l’analyse de quelques faits et sur la base de certaines informations, Diaby Ibrahima et Brakissa Bamba, respectivement directeur général et directrice générale adjointe, proches parmi les proches du ministre du Pétrole et de l’Energie Adama Toungara ont reçu pour seule mission de nettoyer ‘’les écuries d’Augias’’ pour permettre au régime ivoirien d’avoir une mainmise sur l’entreprise publique pétrolière (l’Etat ivoirien doit plusieurs dizaine de milliards de Fcfa à la Petroci). Le directeur général actuel de la Petroci, anciennement en poste dans cette entreprise avait été licencié pour faute lourde.
Après 11 ans au chômage, il intègre à nouveau cette entreprise mais cette fois au poste de directeur général. Naturellement, il y revient avec la ferme volonté de régler des comptes. En effet, dès le 8 janvier 2016, soit moins d’un mois après sa nomination, 10 agents (les 4 coordonnateurs, juridique, de communication, de l’audit interne et de stratégie ; les 3 conseillers techniques de l’ex-directeur général, Gnagny Daniel et les 3 directeurs techniques) reçoivent aussitôt leurs lettres de licenciement et leurs certificats de travail déjà signés. Les serrures de leurs bureaux sont changées et ils sont empêchés d’arranger et d’emporter leurs effets personnels. Quatre jours après, soit le 12 janvier, ce sont 35 agents qui sont priés de déguerpir de leurs bureaux. Une femme enceinte, un délégué du personnel et la chargée de la paie sont au nombre des licenciés.
Toutes ces mesures de licenciement de nombreux cadres sont prises au mépris du nouveau code de travail. C’est une pratique de licenciement abusif qu’il a été donné de voir. Le motif économique mis en avant pour opérer un dégraissage d’effectif n’est pas fondé puisque la masse salariale dans l’entreprise n’est que de 7 % du chiffre d’affaires. La norme à ne pas dépasser admise est de 14 %. De plus, comment peut-on renvoyer des travailleurs qui venaient d’être distingués trois semaines auparavant pour la qualité de leur travail et dont l’un d’entre eux, embauché en 1980, qui totalisait 36 ans de loyaux services, a été décoré de la médaille du grand or ? Enfin comment peut-on se séparer de la seule personne chargée de la paie pour motif économique et confier ce service à un cabinet qui revient 100 fois plus cher ? Difficile d’y répondre ! Surtout dans un contexte dit de difficulté économique où, selon une source bien introduite, la directrice générale adjointe est mieux payée (6.053.001 F CFA) que le directeur général (5.586.586 F CFA). Jugée plus proche du ministre de tutelle, son salaire est de loin plus important que celui d’un ministre de la République.
C’est une veritable forfaiture qui s’est opérée à la Petroci. Et celle-ci ne s’arrêtera pas là. Le ministre Toungara au cours de sa conférence de presse la semaine dernière, a promis que des audits à la dimension de ceux qui ont eu lieu à la Société Nationale d’Opérations Pétrolières auront lieu à la Société ivoirienne de raffinage (SIR). Une autre chasse à la sorcière n’est pas à exclure.
Dieudonné Wognin
Vague de licenciement à la PETROCI : Comment la chasse aux sorcières a été menée par Toungara et ses hommes