Depuis près de 30 ans, Andre Van Zijl lutte contre la maladie. Une longévité qui fait de lui le plus ancien survivant de cette maladie au monde. Pour aider les enfants atteints du VIH, il enchaîne les records les plus farfelus tout en menant une véritable vie d’ascète. Début novembre, il a battu le record de la plus longue conversation téléphonique.
Pas de problème pour une interview. Installez-vous en face d’André et… décrochez le téléphone.» C’est au fond d’une galerie marchande perdue entre Johannesburg et Pretoria, qu’André Van Zijl s’est attaqué à son 40e record du monde: passer 55 heures d’affilée au télép
Short, t-shirt, bandana... André semble mieux préparé pour une course de fond que pour deux jours et demi de hotline. Entre deux coups de fil, comme un marathonien en plein effort, il avale de grandes gorgées d’eau.
Entouré de ses cinq portables et de ses deux téléphones fixes, seules quelques boîtes de médicaments et de compléments alimentaires naturels viennent rappeler qu’André fait partie des six millions de Sud-Africains qui vivent avec le sida.
Voilà près de trois décennies que cet Afrikaner de 63 ans consacre sa vie à battre des records. Son objectif: récolter des fonds pour des associations locales qui viennent en aide aux enfants malades, comme lui, du sida.
En 1984, après le décès d’une amie proche, André Van Zijl, père divorcé de deux enfants, décide de faire le test de dépistage de cette maladie dont on ne connaît pas encore grand-chose.
Le résultat est positif, au virus que l’on appelle alors HTLV-III.
«Evidemment, au début vous refusez de l’accepter. J’étais en plein déni. Puis je me suis retrouvé face à deux choix. Soit je me couchais tranquillement et j’attendais de mourir, soit je décidais de contribuer à lutter contre la maladie.»
Déjà amateur de records (en 1972, il a chanté pendant 28h30 heures non stop), il décide alors de passer professionnel dans le domaine.
A l’époque, il peut compter sur le soutien financier de ses parents qui l’obligent à arrêter de travailler dès qu’ils apprennent sa maladie. Cet ancien militaire de l’armée de l’air sud-africaine, reconverti en professeur d’afrikaans et d’histoire, se retrouve alors à la retraite forcée à 33 ans... Une nouvelle vie commence.
André devient alors un véritable ascète. «Ne pas boire, ne pas fumer et avoir le moins de partenaires possible» devient sa règle de vie. Selon lui, son attitude positive et son action pour les autres seraient ses uniques secrets de longévité. Et un peu ses «trois pilules d’anti-rétroviraux (ARV) par jour. C’est moins contraignant qu’avant où j’en avais une dizaine. Mais je ne crois pas que ce soit ça qui me maintienne en vie. Je crois à la force de l’esprit».
Le Dr Lauren Giddy, son médecin à Knysna:
«Des études ont montré qu’un bon état d’esprit peut vous rendre plus réceptif aux médicaments. Mais le traitement vous permet de vivre normalement pendant plusieurs années. J’ai vu des patients qui sont sous ARV depuis 30 ans...»
«Ce n’est plus si rare de vivre plus de 20 ans avec le sida. Il faut savoir que c’est une maladie qui évolue de manière très variable. Le taux de LT4 s’effondre plus ou moins vite et certaines personnes peuvent résister plus longtemps sans traitement», ajoute t-elle.
Catholique, André certifie que sa foi est strictement privée mais les messages qu’il délivre au téléphone lors de son record laissent penser le contraire. «Le sexe, c’est la procréation, pas la récréation. Un orgasme ne dure que 6 secondes, cela vaut-il le coup de mourir pour ça?», explique-t-il calmement à Vusi, séropositive, à l’autre bout du fil.
«C’est grâce à son comportement vraiment responsable qu’il a cette longévité. Dieu est de son côté», confirme Louise Fourie, propriétaire du magasin où André passe ces deux jours pendu aux téléphones. «C’est un vrai héros, je n’ai pas peur de le dire», s’enflamme l’amie du recordman en lui resservant un grand verre d’eau glacée.
André assure que ses records ne lui rapportent rien et qu’il reverse tous les dons à des associations de Johannesburg ou de sa ville natale de Knysna. Il vit grâce aux sponsors, une grande chaîne d’hôtels et un équipementier cycliste notamment.
Le vélo est devenu son outil de travail depuis qu’il a parcouru 50.000 kilomètres à travers l’Afrique australe, entre 2010 et 2012. Son record le plus médiatique, celui qui lui a permis de se faire connaître dans toute la région, la plus sinistrée au monde par le VIH. Depuis, le gouvernement namibien l’a même fait citoyen d’honneur.
Mais la politique ne le fait plus vraiment rêver. Alors que la campagne pour l'élection présidentielle de 2014 est bien lancée, le thème du sida n’est pas la priorité des candidats.
En 2000, comme beaucoup de malades, il est choqué lorsque l’ancien Président sud-africain Thabo Mbeki, obsédé par le «complot» des firmes pharmaceutiques occidentales, refuse d’investir dans des traitements pour son pays.
Et il n’est pas davantage convaincu par son successeur.
«Comment voulez-vous une prévention efficace quand vous avez un Président qui vous raconte qu’il a pris une douche pour éviter d’être contaminé après une relation sexuelle avec quelqu’un atteint du VIH?»
Pourtant, depuis l’arrivée de Jacob Zuma à la tête de l’Etat, les anti-rétroviraux sont désormais gratuits pour les personnes atteintes et près d’un tiers des malades bénéficient de traitements.
Mais pour André, c’est loin d’être suffisant et les autorités restent trop passives pour lutter en amont contre le problème. «C’est plus facile de vivre avec le sida en Afrique du Sud qu’il y a 15 ans. Les traitements se sont améliorés, mais le gouvernement ne se concentre pas sur les bonnes choses. Il n’y a toujours pas d’accès gratuit aux préservatifs, il n’y a pas assez de prévention dans les écoles. On a pourtant des exemples qui fonctionnent comme au Botswana», regrette-t-il.
Mais les records loufoques d’André font de moins en moins recette Début novembre, il aura passé plus de deux jours au téléphone pour rien. «Le plus important, c’est le message que je transmets. Mais je suis très déçu bien sûr... surtout que la dernière fois je n’avais pas non plus ramassé grand-chose», peste-t-il dans son anglais rocailleux d’Afrikaner.
La dernière fois, en mai, André Van Zijl avait alors passé près de 13 jours d’affilée dans un jacuzzi pour quelques centaines d’euros…
Alors un peu has-been André? Le recordman en série qui a bu 211 tasses de café en 4 heures et joué au billard pendant 9 jours de suite ne se pose pas la question. Au total, il aura tout de même amassé 34 millions de rands (près de 3 millions d’euros) grâce à ses records. «Je prévois d’en battre un chaque année jusqu’à mes 102 ans», rigole-t-il. Le marathonien presque immortel a encore beaucoup d’imagination.
André Van Zijl, plus vieux survivant du sida au monde et recordman en série - Photo à titre d'illustration