Bienvenue sur les marchés parallèles du sperme

  • 14/11/2013
  • Source : lepoint.fr
Les donneurs de sperme se font de plus en plus rares en France, alimentant un "marché parallèle", unique solution pour les couples homosexuels.

La France manque de donneurs de sperme. C'est aussi simple que ça. Entre 2009 et 2012, leur nombre a presque chuté de moitié, passant de 400 à 233. Une baisse qui inquiète les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (Cecos), qui fêtent cette année leurs quarante ans. Contacté par Le Point.fr, le professeur Louis Bujan, président de la confédération des Cecos, pointe du doigt "l'absence de campagnes de publicité à grande échelle." Autre cause, selon lui, le retour sur le devant de la scène politique "du débat sur les lois de bioéthique, et notamment sur la levée de l'anonymat des donneurs." Ce qui en inquiète plus d'un, assure le médecin. Enfin, le rôle joué par la légalisation du mariage gay n'est pas à minimiser. "Plusieurs patients nous ont contactés pour s'opposer à ce que leur don aille à des couples homosexuels", reconnaît-il. Un don pourtant toujours impossible.

Et pour cause, la loi française encadre très strictement le don de sperme. Anonyme et gratuit, il se pratique exclusivement "dans un organisme ou établissement à but non lucratif". Après recueil, les spermatozoïdes sont congelés pour être conservés. "Ils sont ensuite utilisés (dans la limite de dix enfants par donneur, NDLR), dans le cadre de la procréation médicale assistée (PMA), par un couple (composé d'un homme et d'une femme) qui ne peut pas avoir d'enfant. En clair, les femmes célibataires et les couples homosexuels en restent privés. Une situation qui conduit à "un marché parallèle" pouvant se révéler dangereux.

Les donneurs de sperme du Web

En interdisant le don de sperme aux homosexuels, la France fait les choux gras de ses voisins européens. Ole Schou, directrice générale de Cryos, une société danoise qui propose littéralement de livrer du sperme à domicile, ne s'en cache pas : "Nous savons que la France manque de donneurs, mais ce n'est pas le seul problème. La majorité des demandes émane de couples homosexuels et de célibataires qui n'ont pas accès au don de sperme. Nous sommes donc très heureux de les aider." Seul obstacle, et non des moindres, le coût de l'opération. Un véritable frein pour les plus démunis....

Plus inquiétant, ne pouvant pas faire autrement, de nombreux couples se tournent vers Internet. Là, en-dehors de tout cadre légal et médical, des annonces de donneurs de sperme fleurissent par centaines. Une mine d'or pour les couples homosexuels, mais aussi pour les couples hétérosexuels fatigués d'attendre un donneur. Les bons samaritains, comprendre les donneurs, proposent généralement deux méthodes : "la traditionnelle" (par insémination, c'est-à-dire sans relation sexuelle, NDLR) et "la naturelle" (avec relation sexuelle, NDLR). Adrien, un jeune donneur originaire de Lyon, privilégie la méthode traditionnelle. Contacté par Le Point.fr, il a accepté de témoigner : "Papa depuis peu, je vis un réel bonheur. Et je ne vois pas pourquoi je n'aiderais pas d'autres couples à vivre ce même bien-être."

En proposant ses services via des forums, Adrien assure pouvoir mesurer "la détermination des couples". Ce qu'il ne pourrait évidemment pas faire en passant par un Cecos. "Je ne veux pas donner mon sperme à des irresponsables", argumente-t-il. Pour s'en convaincre, il n'hésite pas à réclamer 50 euros par don "pour les frais occasionnés". Comme tout bon donneur, il tient à disposition de quiconque des analyses sanguines attestant de l'absence de toute maladie sexuellement transmissible. Mais rien de plus... Débutant en la matière, Adrien assure avoir déjà donné plusieurs fois son sperme, essentiellement à des "lesbiennes". Au choix pour les donneurs d'accepter ou non une paternité partagée.

Le risque génétique
"Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Si les gens sont heureux comme ça...", estime Jean-Philippe Wolf, en charge du Cecos de l'hôpital Cochin à Paris. "Dans les Cecos, nous testons toutes les maladies et nous menons des enquêtes génétiques", poursuit le médecin. L'objectif ? Détecter la moindre anomalie et écarter tout donneur qui ne serait pas sain. Un dépistage "capital" qui n'est pas effectué par les donneurs du Web. Reconnaissant l'existence de ces "marchés parallèles", le professeur Louis Bujan tient également à souligner les risques encourus. Et à rappeler que "le sperme de 30 % des donneurs n'est pas retenu dans les Cecos".

Pourtant, les deux médecins ne sont pas encore ouvertement favorables à l'ouverture de la PMA pour les couples homosexuels. "On nous vend la PMA pour tous sans réfléchir aux conséquences", s'inquiète le professeur Wolf. "Je doute de l'intérêt pour un enfant de grandir dans un couple homosexuel", soutient-il. Et si la PMA pour tous devait être légalisée du jour au lendemain ? "Le contrat moral envers les donneurs serait rompu", assure le professeur Bujan. "Le don aurait été fait dans un contexte différent", rappelle-t-il. Conséquence ? "Il faudrait trouver de nouveaux donneurs." Mais tout n'est pas aussi sombre, jure-t-il. "Le don est un geste altruiste qui permet à des couples stériles de connaître le bonheur de fonder une famille." Un bonheur réservé à quelques-uns ?