L’ancien député de Diabo, par ailleurs Pdg de l’Union des transporteurs de Bouaké (Utb), s’est résolument engagé dans le processus de réconciliation. Peu bavard d’ordinaire, il a accepté de parler de la présidentielle de 2015, du 12e congrès du Pdci-Rda, de son entreprise et de bien d’autres sujets.
Vous avez initié, récemment, une caravane de réconciliation dénommée «Kouamé Konan N’Sikan vous parle ». Quel bilan en faites-vous ?
La caravane continue, donc je ne peux pas faire de bilan maintenant.
Quand a-t-elle démarré ? Comment les premières étapes se sont-elles déroulées ?
Le lancement de cette caravane a été fait, en février 2013, à Bouaké. Le choix de la capitale du Gbêkê s’explique par le fait que j’étais dans cette ville considérée comme ma base lorsque la crise s’est déclenchée en septembre 2002. C’est là que j’ai perdu beaucoup de biens. Après Bouaké, je devais aller à Duékoué. J’avais choisi cette ville de l’ouest comme deuxième étape de la caravane. Malheureusement, j’ai été malade. Maintenant que j’ai recouvré la santé, je compte reprendre cette activité.
Quel message véhiculez- vous ?
A Bouaké, j’ai expliqué aux populations, allogènes, allochtones et autochtones confondus, le bien- fondé de la réconciliation nationale. Je leur ai dit que lancé par le Président de la République, SEM. Alassane Ouattara, ce processus a été confié à l’ancien Premier ministre, Charles Konan Banny. Je m’y suis engagé parce que c’est une opération participative, inclusive et nationale. C’est l’affaire de tous. J’ai dit aux populations que j’ai perdu beaucoup de cars et d’autres biens précieux, à Bouaké. Dans les gares Utb, au centre et ailleurs, tout a été saccagé. Mais je mets tout entre les mains de Dieu. Nous attendons l’Etat de Côte d’Ivoire. S’il nous dédommage, on sera content. S’il ne fait rien, on ne se fâchera pas. La vie continue. C’est dire que nous devons pardonner tout ce qui s’est passé et regarder l’avenir avec foi.
Avez-vous la certitude que votre message de paix, de réconciliation a été entendu et que les Ivoiriens, à travers les populations de Bouaké, sont prêts à réapprendre à vivre ensemble après la crise post -électorale ?
A Bouaké, tout le monde me connaît. Je suis un homme écouté, admiré et considéré. Ce que je dis est donc pris au sérieux.
A combien s’élève le montant de vos pertes matérielles et financières ?
Je préfère garder cela secret.
Pourquoi ?
Je trouve cela révoltant. Mais sachez simplement que j’ai perdu 75 cars.
Quel est le prix d’un car ?
Au moins 100 millions de Fcfa.
Absent de la scène politique, depuis un certain temps, signez-vous votre retour à travers cette caravane ?
La politique est une très bonne chose. Mais, à partir d’un certain âge, il faut laisser la place aux plus jeunes. J’ai été, en 1989, le président des commerçants de Côte d’Ivoire. De 36 syndicats, au départ, tous se sont regroupés en un seul, à la demande du Président Félix Houphouët-Boigny. Tous les commerçants avaient porté leur choix sur ma modeste personne pour diriger ce syndicat. En ce moment-là, je ne savais même pas parler français. J’ai été choisi parce que j’avais un bon comportement. Beaucoup de mes camarades commerçants qui étaient avec moi sont morts. Je suis seul, aujourd’hui. J’estime qu’il faut laisser la place aux jeunes.
Et au niveau de la politique…
J’ai été député de Diabo, de 1995 à 2005, soit durant deux mandats. J’avoue que ce poste ne m’intéressait pas. Je m’occupais de mes activités commerciales. Mais ce sont les populations qui m’ont demandé d’être leur député. J’ai demandé aux cadres et fonctionnaires de ma circonscription ce que, moi, analphabète, je pourais apporter à la sous-préfecture. Ils m’ont dit : «N’Sikan, on va t’essayer». Ils m’ont essayé et ont dit après qu’ils ne s’étaient pas trompés.
Qu’avez-vous fait pour les populations de Diabo?
J’ai fait entretenir toutes les pistes villageoises de chez moi. J’ai acheté un tracteur que j’ai offert aux populations pour faire leurs champs. Ainsi qu’un camion-citerne qui distribue, pendant la saison sèche, de l’eau dans tous les villages. Mes parents n’avaient pas de problème d’eau, en toute saison. Tous ceux qui avaient des ennuis de santé venaient me voir et je faisais ce que je pouvais pour qu’ils recouvrent la santé.
Déjà, en tant que commerçant, j’avais fait construis une école primaire de sept classes dans mon village, Konankro, aujourd’hui connu sous l’appellation de Klemekro, après s’être uni avec un autre, Kouassikro. Ce n’est pas tout. J’ai construit des maisons pour de vieilles personnes qui n’ont pas de moyens et une maternité qui porte le nom de mon aîné, Kouamé N’Zué Jérôme, décédé.
Quel enseignement tirez-vous de votre ancienne fonction d’élu de Diabo et de la nation ?
Etre député m’a permis de vivre d’autres expériences. J’en tire beaucoup de satisfaction. Autant j’en suis fier, autant je sais que dans la vie, l’excès est un défaut. Après deux mandats, je me suis dit que cela suffisait. Si je voulais continuer, je serais député à vie, dans ma localité. Car je n’aurais jamais d’adversaire. Mais j’ai décidé de laisser la place aux plus jeunes.
Peut-on alors dire que vous avez abandonné la politique ?
Non, je n’ai pas abandonné la politique. La preuve, je suis toujours militant du Pdci-Rda.
Votre parti, justement, va organiser, en octobre prochain, son 12e congrès. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?
Je pense que c’est normal que le congrès se tienne. Je demande aux uns et aux autres de faire en sorte que cette rencontre se déroule dans les meilleures conditions.
Faites-vous partie des dignitaires qui sont pour le maintien de Henri Konan Bédié à la tête du Pdci-Rda ou de ceux qui veulent le contraire ?
Je suis de ceux qui veulent que Bédié reste à la tête du Pdci-Rda.
Quels sont vos arguments pour convaincre ses détracteurs ?
Depuis qu’il est le président de notre parti, tout se passe bien. Son âge mérite respect. Bédié est un homme sage qui sait écouter, qui a toujours le verbe qu’il faut pour dénouer telle ou telle situation. Mon souhait est qu’il reste encore à la tête du Pdci et que les jeunes apprennent auprès de lui.
Avoir un candidat Pdci à la présidentielle de 2015 est un sujet qui divise les militants aujourd’hui. Quel est votre avis ?
Le congrès en parlera certainement. Sinon, je ne suis pas pour le changement. Quand une personne est à la magistrature suprême, l’idéal serait qu’on la laisse faire ses deux mandats et après, on verra. Laissons donc Alassane Ouattara faire ses deux mandats puis le Pdci reviendra au pouvoir.
Quel remède proposez-vous pour que le Pdci-Rda redevienne un «parti fort et premier» comme par le passé ?
Le Pdci doit toujours être premier. La solution, à mon avis, est que, de temps en temps, on fasse de la place aux jeunes au sein du parti. C’est important. Moi, en tant que membre du Bureau politique, je ne serai plus jamais député, secrétaire général de section, etc. Ces postes doivent revenir aux jeunes. Pour éviter les frustrations. Parce que s’ils n’ont pas de place au sein du Pdci-Rda, ils vont aller ailleurs. Ayant compris cela, j’ai décidé de ne plus être député de Diabo. Sinon, les jeunes n’allaient plus me respecter.
La Côte d’Ivoire peut-elle se réconcilier avec elle-même après les crises successives qu’elle a vécues ?
Les Ivoiriens disaient : «Si c’est la guerre, on va la faire ». Ils y ont «goûté» et ont vu que ce n’est pas une bonne chose. Aujourd’hui, les Ivoiriens ne veulent plus de guerre. Ils comprennent, maintenant, le bien- fondé de la paix que le Président Houphouët-Boigny nous a enseignée et léguée.
Quelle Côte d’Ivoire, selon vous, deux ans après la crise post- électorale ?
Le pays a beaucoup changé parce que les Ivoiriens veulent la paix. Je salue les progrès réalisés par la Côte d’Ivoire grâce au Président de la République, SEM. Alassane Ouattara, qui ambitionne de faire d’elle un pays émergent à l’horizon 2020.
J’invite tous les Ivoiriens à cultiver l’amour, la paix. Car la guerre ne construit pas. Bien au contraire, elle détruit.
Revenons à votre compagnie de transport. De combien de cars disposez-vous, aujourd’hui ?
135 cars.
Sur combien de lignes sont-ils ?
Ils desservent une vingtaine de lignes en Côte d’Ivoire.
Où en êtes-vous avec le transport inter- Etats?
Pour le moment, mes cars vont au Ghana, Togo et Bénin. D’autres transporteurs desservent d’autres lignes dans la sous-région. Je ne m’y engagerai pas parce que je n’aime pas la provocation.
En tant que propriétaire d’une si grande compagnie de transport, peut-on dire que vous êtes un homme riche ?
Non. Depuis que je suis né, je n’ai jamais vu un transporteur riche. J’ai dit tantôt que j’exerçais des activités commerciales. Celles-ci m’avaient permis de faire des économies.
Celui qui veut investir dans le transport et réussir est obligé d’avoir d’autres activités lucratives. Parce que le transport ne rapporte pas grand-chose.
Que faites-vous en dehors du transport ?
Je suis entrepreneur. Je construis des routes, des maisons et suis propriétaire de stations-service. Je suis dans le transport pour une question de prestige, pour préserver ma renommée. C’est tout.
On sait que vous n’avez pas été à l’école. Comment parvenez-vous à gérer une compagnie de transport de personnes et de marchandises aussi grande que la vôtre ?
C’est vrai que je n’ai pas été à l’école. Mais avant, je travaillais avec des jeunes frères et cela marchait à merveille. Aujourd’hui que je sais lire et écrire, la compagnie éprouve des difficultés financières. Certains travailleurs font preuve de malhonnêteté. Confondant recettes et bénéfices, ils posent des actes répréhensibles. Des gens m’ont soutiré des millions de francs.
Qui, par exemple ?
Ils se reconnaîtront à travers mes propos. Ce sont des gens qui font des surfacturations. Il y en a un qui a détourné 174 millions. Il a été arrêté, jeté en prison, mais aujourd’hui, il est en liberté. Pourquoi? Je m’interroge.
A qui la faute ?
C’est la question que je me pose. Je suis souvent victime de vols, mais ceux qui commettent ces actes passent par je ne sais quel moyen pour sortir de prison.
Voulez-vous dire que la justice ne fait pas son travail ?
Je remarque tout simplement que celui qui m’a pris 174 millions n’est plus en prison.
A combien évaluez-vous tout ce que l’on vous a volé ?
C’est beaucoup d’argent.
20, 30, 50 ou 100 millions?
Est-ce que 100 millions, c’est de l’argent ? Si c’était pareille somme, je ne dirais pas que je suis victime de vols. Ce sont des milliards qu’on me dérobe.
Comment comptez-vous mettre fin à tous ces vols ?
J’ai, au moins, 700 employés Si tous les transporteurs pouvaient faire comme moi, nous pourrions contribuer à résorber le chômage en Côte d’Ivoire. Il faut punir ceux qui volent. C’est la seule façon de mettre fin à ces actes qui me découragent. En Côte d’Ivoire, il y a des gens qui sont plus riches que moi. Mais ils préfèrent investir dans l’immobilier que l’on peut, non seulement laisser en héritage à ses proches, mais qui est facile à gérer. Moi, j’ai choisi le secteur du transport pour donner des emplois à des Ivoiriens. Que les voleurs soient emprisonnés pour longtemps. Cette sanction dissuaderait d’autres personnes malintentionnées de faire comme ces derniers.
Votre compagnie va-t-elle mettre la clé sous la paillasson ?
Les nombreux vols dont je suis victime me poussent à m’endetter. Si rien n’est fait pour freiner les voleurs, la compagnie va fermer ses portes un jour. Et pourtant, la loi dit très clairement qu’un voleur doit être poursuivi.
Quand et comment la compagnie Utb a-t-elle vu le jour?
C’était en 1984. J’étais, en ce moment - là à Bouaké. En provenance de Korhogo pour Abidjan, des cars faisaient escale dans la capitale du Gbêkê. Les fonctionnaires et autres habitants de cette ville qui voulaient monter à bord de ces véhicules étaient confrontés à un problème de places. C’est ainsi que certains d’entre eux sont venus me voir pour me demander d’acheter des cars. Ce que j’ai fait.
Avec combien de cars avez-vous commencé ?
J’ai commencé avec deux cars. Au fil du temps, leur nombre a augmenté. Je le rappelle, j’ai 135 cars, aujourd’hui.
Quel est, aujourd’hui, votre plan d’extension pour desservir toute la Côte d’Ivoire ?
Le syndicat des transporteurs est organisé. J’ai des lignes, les autres transporteurs ont les leurs. Je ne peux pas marcher sur les platebandes de quelqu’un. Il faut que tout le monde puisse réaliser des profits.
Pensez-vous que le gouvernement soutient suffisamment le secteur du transport ? Dans le cas contraire, que faut-il pour le moderniser et le rendre plus efficace ?
Le gouvernement est disposé à nous aider. Nous avons tenu beaucoup de réunions avec le ministre des Transports, Gaoussou Touré, qui est lui-même un ancien transporteur et commerçant. Donc il connaît tous nos problèmes. Il est en train de les analyser.
Quelles sont vos ambitions au niveau du transport : avoir une compagnie aérienne, par exemple ?
Pour le moment, non.
Le développement de Bouaké, chef-lieu de la région du Gbêkê, a été ralenti par la crise politico-militaire déclenchée en septembre 2002. Avez-vous des projets autres que le transport pour aider cette ville qui vous est chère à sortir de son engourdissement ?
Oui. Déjà, j’ai réalisé un réceptif hôtelier de 74 chambres. C’est un essai. D’autres réalisations suivront.
interview réalisée par Emmanuel Kouassi
Kouamé Konan N’Sikan : “ Il faut pardonner et regarder l’avenir avec foi ” - Photo à titre d'illustration