"Je ne vois pas en quoi il peut donner un ordre. Seulement, en tant que chef de l’Etat, il est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il peut demander que l’on aille vite dans le traitement des dossiers des pro-Gbagbo et de permettre ainsi à ceux qui n’ont rien fait d’être libérés."
L’instruction du chef de l’Etat au garde des Sceaux d’examiner la mesure de mise en liberté provisoire de prisonniers pro-Gbagbo ne s’apparente-t-elle pas à un ordre donné à la justice ?
Ce n’est pas un ordre. Si tel était le cas, c’est comme s’il s’immisçait dans le fonctionnement de la justice. Alors que vu l’indépendance de la magistrature, le président de la République, lui-même, s’est toujours refusé à se mêler des affaires de la justice.
Je ne vois pas en quoi il peut donner un ordre. Seulement, en tant que chef de l’Etat, il est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il peut demander que l’on aille vite dans le traitement des dossiers des pro-Gbagbo et de permettre ainsi à ceux qui n’ont rien fait d’être libérés.
Quelles sont vos attentes ?
C’est le juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge. Il peut à certains moments dire que la détention des personnes mises en cause est nécessaire ou dire aussi que les enquêtes nécessaires sont terminées.
Il peut également estimer que des personnes peuvent être mises en liberté provisoire parce qu’elles ont une représentation et qu’elles ne peuvent pas disparaître du jour au lendemain; c’est-à-dire quitter le pays. Donc dès l’instant qu’il y a une garantie de représentation, le mis en cause peut être libéré provisoirement. Je crois que c’est dans ce sens que le chef de l’Etat a dit «revoyons les choses».
Vous n’êtes pas un peu déçu par la tournure que prend le dossier ?
Le fait de mettre quelqu’un en liberté provisoire ne veut pas dire que cette personne ne sera pas jugée. On peut mettre en liberté provisoire des personnes si elles ont des garanties de représentation. Mais cela ne veut pas dire que les faits pour lesquels elles sont poursuivies sont amnistiés par exemple. Il n’y pas une loi d’amnistie. Dans le procès du café-cacao, les personnes qui étaient mises en cause étaient en liberté.
Quand il a fallu les juger, elles ont été jugées et condamnées. Donc il ne faudrait pas que les victimes de la crise postélectorale pensent que ces personnes qui seront mises en liberté provisoire, éventuellement, si elles ont des garanties de représentation, ne seront pas un jour jugées.
Pour d’autres avocats, l’exécutif met la pression au judiciaire. Qu’en pensez-vous ?
Je ne le crois pas du tout. Je l’ai dit tantôt, le président de la République est quand même le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire. Et pour les besoins de la réconciliation nationale, il peut, sans se mêler au pouvoir judiciaire, demander de réexaminer des questions, de revoir des dossiers. Il n’a pas dit de les mettre en liberté.
S’il demande leur mise en liberté, c’est comme si c’était lui-même qui les avaient mis en prison, or ce sont des gens qui sont poursuivis parce qu’ils ont posé des actes répréhensibles. Maintenant, lui, pour les besoins de la réconciliation nationale demande si on ne peut pas réexaminer des cas et assouplir certains points s’ils ont des garanties de représentation pour qu’ils bénéficient d’une liberté provisoire.
C’est une demande qu’il fait, quitte au juge d’instruction, qui est indépendant, de prendre ses responsabilités. Si lui estime qu’on peut mettre des gens en liberté provisoire, il le fera. Mais le président de la République aurait pu dire ‘’mettez-les en liberté’’. Il aurait pu le dire en tant que chef de l’Etat, il ne l’a pas fait. Mais il n’a demandé qu’un réexamen des dossiers.
Propos recueillis par Danielle Tagro
Me Soungalo Coulibaly, avocat des victimes de la crise postélectorale : «Ce n’est pas un ordre…» - Photo à titre d'illustration