Bien qu’instaurée depuis des temps immémoriaux, la confrérie des chasseurs du Nord ivoirien ou dozos n’a été connue du grand public qu’à la faveur de la recrudescence du grand banditisme dans les années 90.
Une confrérie, pour le moins mystique, qui a toujours suscité crainte et peur bien souvent mais aussi respect et considération voire fascination. Aujourd’hui, le phénomène dozo s’est répandu quasiment sur l’ensemble du territoire national.
Ainsi, l’on trouve aussi bien des dozos à Odienné, leur bastion d’origine, qu’à Duékoué, Korhogo, Daloa, Séguéla mais de plus en plus à Abidjan, Bouaké et Yamoussoukro.
À la faveur de la récente visite d’Etat du Président Alassane Ouattara dans la Région du Bafing, au Nord-ouest du pays et précisément à Touba (680 km d’Abidjan) où ces chasseurs traditionnels ont visiblement pignon sur rue, nous avons voulu en savoir plus.
Selon Bakayoko Yatié, 75 ans et chef de la confrérie locale, n’est pas dozo qui veut. A l’origine, explique-t-il, il s’agissait d’une confrérie secrète que l’on intègre à travers le parrainage d’un initié et après avoir juré sur le fétiche.
Puis s’ensuit une période d’initiation dans un endroit tenu secret (manimou), au cours de laquelle le nouveau promu apprend à connaitre les plantes médicinales et leurs utilisations, les animaux et leurs caractéristiques, les rites de la chasse et surtout le code d’honneur basé sur la loyauté, l’intégrité, le partage et le respect de la hiérarchie.
Selon notre interlocuteur, à ce jour, l’on dénombrerait plus de 35.000 dozos sur le territoire ivoirien dont environ 5.000 dans la seule région du Bafing. Ils sont regroupés au sein de la FENACODO-CI (Fédération nationale de la confrérie dozo de Côte d’Ivoire) basée à Abidjan et dirigée par M. Bamba Lama.
En dehors du cadre traditionnel
Au demeurant, remontant le cours de l’histoire, le doyen Bakayoko Yatié a confié que l’ancienne société traditionnelle africaine comprenait trois organisations initiatiques d’armes. À savoir, les donzos ou dozos, les tombolomas et les sofas.
Chacune d’elles avait des prérogatives bien définies et un champ d’activités bien déterminé. Ainsi, les donzos étaient des chasseurs appartenant à une confrérie en arme chargée de ravitailler la communauté en protéines animales (viande de brousse), de veiller à la sécurité du bétail et des champs de cultures contre des attaques de fauves et autres prédateurs.
Quant aux tombolomas ou police urbaine, ils avaient pour mission d’assurer la surveillance de l’habitat ainsi que la sécurité des biens et des personnes dans leur intégrité physique et morale contre les enlèvements, vols et viols dans le village. Ils pouvaient être ressortissants de plusieurs villages du canton, s’il s’agit de protéger un site communautaire de travail, telles que les mines d’or.
Enfin, les sofas,guerriers ou encore militaires avaient pour mission, eux, de défendre l’intégrité du territoire du royaume envers et contre tout. Ils participaient, bien évidemment, à la conquête de nouvelles contrées en vue de l’expansion du royaume.
L’organisation sociale ivoirienne actuelle n’obéit plus à un tel schéma. Encore moins la confrérie des dozos elle-même. Elle qui a longtemps évolué dans le Nord du pays, sa zone naturelle. Où, à la faveur des manifestations officielles ou lors de leurs rencontres corporatistes, en direct ou télévisées, l’on pouvait suivre leurs exhibitions ponctuées de coups de fusils tirés en l’air. Bardés de gris-gris, autres morceaux de miroir et griffes d’animaux.
Des accoutrements qui leur sont propres. Tout comme leur sont propres, leurs danses rituelles aux rythmes endiablés du balafon et de la cora. Mais comme nous le fera observer Bamba Drissa, porte-parole du coordonnateur de la confrérie dans le Bafing, c’est au début des années 90, avec la forte montée de la criminalité et la recrudescence du phénomène des coupeurs de routes que les dozos sont sortis de leur sphère traditionnelle, pour prêter main forte et quelques fois pallier l’insuffisance voire même l’absence des Forces républicaines. Bien souvent, à la demande des populations désespérées.
Des dozos Agnis, Adjoukrous, Baoulés, Bétés, Guérés, Gouros et même de nationalités étrangères, cela ne surprend donc plus désormais. À en croire quelques agents des forces de l’ordre interviewés à Touba, l’intervention des dozos dans les années 90 jusqu’en 2010 aurait été salutaire. Elle aurait ainsi permis de réduire la criminalité galopante et aider à résoudre bien des conflits entre éleveurs étrangers et agriculteurs locaux.
Au fil du temps, , la police de Touba n’enregistrerait ni crimes de sang ni grandes attaques armées. Autant de témoignages éloquents qui justifient amplement l’estime dans laquelle cette partie du pays tient les dozos.
D’où cette assertion d’une vieille femme qui assure qu’à Touba, tout le monde ou presque se réclame dozo. « Être dozo est, pour nous, un acte de foi, un sacerdoce qui consiste à protéger bénévolement nos concitoyens », semble d’ailleurs confirmer Diomandé Youssouf, 36 ans, couturier et dozo.
Infirmier de son état, Coulibaly Abdoulaye ne dit pas autre chose sinon que préciser qu’ici, être dozo c’est tout simplement une manière de s’assumer. Ainsi, avons-nous rencontré à Touba des dozos ouvriers, manœuvres, paysans, artisans, enseignants et même élèves.
Du reste, une fois la nuit tombée, ils quadrillent tous les quartiers, nous a-t-on dit. Soumahoro Idrissa, un artisan local, est aussi admiratif de leur spontanéité et de leur courage. Car l’on prête aux dozos des pouvoirs surnaturels qui donnent froid dans le dos. Des pouvoirs de guérison ou de mauvais sorts également
Des risques réels de dérapage
Les dozos feraient tant et si bien que nous nous sommes laissés dire qu’ici, l’on fait bien plus confiance aux dozos qu’à la police. Comme le confirme en tout cas Fadiga Mohamed Lamine, commerçant à Ferentalla (localité située à 15 km de Touba) : « quand nous attrapons un voleur ou un individu suspect, nous le remettons plutôt aux dozos ».
La crise politico-militaire de 2002, avec l’absence des Forces régulières, a permis de consacrer cette pratique. Mais la crise est désormais passée. Au Commissariat de police de Touba, on reconnait volontiers cette emprise des mystiques mais, l’on s’inquiète plus de leur manque de formation au maintien de l’ordre et au règlement des conflits selon les principes du droit.
L’on évoque ainsi quelques dérapages et d’autres voies de faits. Le plus gros risque, in fine, est de voir la confrérie se muer en milices privées ou gangs de bandits de grands chemins. La popularité des dozos ne doit pas faire oublier leur caractère hors la loi.
Cela mérite d’être géré avec un enthousiasme mesuré. Le doyen Bakayoko Yatié, chef de la confrérie dozo de la Région du Bafing, l’a d’ailleurs bien compris qu’il nous a dit rêver d’une collaboration légale et officielle avec la police.
Il entrevoit déjà les dozos être érigés en forces supplétives, vu les effectifs limités de celle-ci. Aussi, propose-t-il un essai de six mois dans ce sens avec l’engagement d’en finir avec les coupeurs de route, kidnappeurs d’enfants et autres criminels.
Ce qui suppose, selon le doyen Bakayoko Yatié, la mise à disposition de moyens de mobilité à la FENACODO-CI pour assurer les patrouilles.
Il plaide également pour un programme de réinsertion pour certains dozos qui ne veulent ou ne peuvent pas embrasser une autre carrière. Au nom de la sécurité nationale, l’idée mérite d’être étudiée.
Aboubacar Al Syddick de retour de Touba
Photo:DR / La confrérie des chasseurs du Nord ivoirien ou dozos n’a été connue du grand public qu’à la faveur du grand banditisme