Une exposition de photos pour la réconciliation en Côte d’Ivoire

  • 23/03/2014
  • Source : AFP
Certains clichés sont presque insoutenables, d’autres redonnent espoir: une association de photo-reporters ivoiriens a organisé à Abidjan une exposition itinérante sur le conflit de 2010-2011 en Côte d’Ivoire et la paix qui a suivi, pour approfondir la réconciliation.

Cinquante images encadrées sont affichées sur des panneaux blancs, qui ont voyagé de lundi à samedi dans la capitale économique ivoirienne : deux jours au Plateau, le centre administratif, deux à Abobo, un quartier pro-Ouattara, deux à Yopougon, une zone pro-Gbagbo.
 
Abobo et Yopougon ont été les parties d’Abidjan les plus touchées durant la crise postélectorale de 2010-2011, quand le refus de sa défaite par l’ex-président Laurent Gbagbo face à son adversaire, l’actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara, provoqua une éruption de violence.
Plus de 3.000 personnes périrent à l’échelle nationale.
 
Trois ans plus tard, les visiteurs sont invités à replonger dans leur terrible passé : des munitions dans une mare de sang, des corps sans vie alignés dans une morgue surchargée, une poitrine criblée de balles, une fosse commune...
 
De l’autre côte des panneaux, les photos invitent à l’apaisement. Des mains se croisent. Des militaires demandent pardon. Cinq enfants brandissent autant d’ardoises pour former le mot "ré-con-ci-lia-tion".
 
"On va mettre au début des images qui choquent, qui font mal, pour à la fin dire : +il faut pardonner+", explique Christian Koffi, l’un des photographes exposés, à un groupe de visiteurs.
"Nous avons été les témoins oculaires de ce conflit. Nous avons parfois risqué notre vie pour vous apporter ce message", poursuit ce membre de l’Union
nationale des photojournalistes de Côte d’Ivoire (UNPJCI), dont les photographes travaillent pour tous les quotidiens de la place, du plus pro-Gbagbo au plus pro-Ouattara.
 
L’entente au sein de l’UNPJCI est pourtant "parfaite", souligne Emmanuel Tano, son président. "Avant et pendant le conflit, c’était pareil. Aujourd’hui, nous voulons sensibiliser nos autorités, et surtout la population. Pour ne pas que la bêtise humaine puisse se répéter".
 
L’exposition attire les foules. Dix mille personnes au total en six jours, selon M. Tano.

- Larmes -
 
Des centaines de badauds défilent sans bruit sous les tentes blanches, dans les jardins de la mairie d’Abobo ou sur la place Figayo, lieu symbole de Yopougon, où les +jeunes patriotes+, un mouvement pro-Gbagbo extrêmement violent, étaient recrutés durant la crise.
 
Les réactions diffèrent selon les individus. Si tous saluent l’initiative et refusent une nouvelle guerre, la plupart ressortent pensifs. Certains avouent avoir du mal à oublier.
 
Tel Lassana, un étudiant de 31 ans, à qui des pro-Gbagbo avaient passé un pneu autour de la taille, qu’ils auraient enflammé s’il n’avait pas connu leur chef, parce que son nom, Meïté, avait une consonance "nordiste" (du nord de la Côte d’Ivoire, d’où venaient les rebelles pro-Ouattara).
 
"Il fallait prendre les armes, pas pour combattre mais pour se défendre", affirme Ismaël, un agent sanitaire de 32 ans tout en montrant une cicatrice à sa cheville, touchée par "un éclat de roquette."
 
Certains craquent. Comme cet homme d’Abobo qui, à la vue des premières photos - violentes - de l’exposition, s’est enfui en pleurant "sans même passer par l’entrée. Il a enjambé les barrières", raconte Trésor Meledje, une photographe.
 
Ou cet autre, toujours à Abobo, également en larmes. "Il m’a dit qu’il n’arrivait plus à dormir, après avoir pris les armes et abattu des gens. Que certains de ses amis étaient devenu fous", dit-elle.
 
Et d’ajouter : "Il était violent. Mais il est reparti plus calme", après avoir parlé au modérateur de l’exposition, présent pour apaiser les tensions.
Une psychologue était également active.
 
Nokongo, une étudiante de Yopougon, 20 ans, se tamponne les yeux avec un mouchoir. "J’ai reconnu un de mes parents" sur une photo.
La plupart des visiteurs ressortent en silence.
"Il y a trop d’images fortes. Cela réveille certaines blessures", estime Zoumana, un agent de sécurité de 40 ans, venu au bras de sa compagne Félicienne, une vendeuse de 33 ans de Yopougon.
 
Lui "nordiste", pro-Ouattara, musulman. Elle "sudiste", pro-Gbagbo et chrétienne. Le couple dit s’être rencontré après la crise. Un autre motif d’espoir pour la réconciliation en Côte d’Ivoire.
 
jf/sd