Le procès d'un retraité accusé d'avoir pendant près de dix ans drogué sa femme et invité des inconnus à la violer à leur domicile de Mazan, petite ville du sud de la France, s'est ouvert lundi à Avignon. Une affaire rarissime impliquant 50 co-accusés.
"Les débats seront publics", a annoncé Roger Arata, président de la cour, après une suspension de séance d'une trentaine de minutes pour étudier une demande de huis clos formulée par le ministère public et certains avocats de la défense. Mais la principale victime, Gisèle P., s'y opposait vivement car elle souhaite "une publicité complète, totale, jusqu'au bout", ont plaidé ses avocats.
Emblématique de la question de la soumission chimique, ce procès devrait se tenir jusqu'au 20 décembre devant la cour criminelle du Vaucluse, exclusivement composée de magistrats professionnels.
Les accusés, dont dix-huit en détention provisoire, sont des hommes, âgés de 21 à 68 ans au moment des faits. Pompier, artisan, infirmier, gardien de prison ou journaliste, célibataires, mariés ou divorcés, tous sont jugés pour des faits qui pourraient leur valoir jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle.
"Il n'y a pas de profil type du violeur. Le violeur, c'est Monsieur Tout-le-Monde", a expliqué Véronique Le Goaziou, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie, spécialiste des violences sexuelles, avant le procès.
Un sentiment de "toute-puissance" sur le corps féminin
La matinée a été consacrée à l'appel des accusés, qui doivent décliner leur identité et profession. Dominique P., 71 ans, le mari et principal accusé, s'est montré un brin provocateur lors de la vérification de son identité lançant: "Mon domicile, vous le connaissez, c'est la prison."
La majorité sont venus une fois, dix plusieurs fois, jusqu'à six nuits parfois. Ils ne souffrent d'aucune pathologie psychique notable, selon des experts, qui pointent toutefois leur sentiment de "toute-puissance" sur le corps féminin, selon Véronique Le Goaziou.
Beaucoup maintiennent qu'ils pensaient seulement participer aux fantasmes d'un couple libertin. Mais, selon le principal accusé, "tous savaient" que son épouse était droguée à son insu. Et pour l'instruction, "chaque individu disposait de son libre arbitre" et aurait pu "quitter les lieux".
Au total, 92 faits de viols ont été recensés dans ce dossier, par 72 hommes. Mais seule une cinquantaine ont été formellement identifiés et sont jugés. Tout a commencé en 2011, quand le couple vivait encore en région parisienne, mais les délits ont principalement eu lieu à partir de 2013, après leur déménagement à Mazan (Vaucluse), ville de 6000 personnes, et jusqu'en 2020. A chaque fois, l'ex-employé EDF administrait à son épouse un puissant anxiolytique, du Temesta le plus souvent.
Pour les hommes, recrutés sur la plateforme de tchat gratuit coco.gg, un site de rencontres fermé depuis juin car accusé d'être un repaire de prédateurs sexuels, les consignes étaient strictes, afin de ne pas réveiller la victime: ni parfum ni odeur de cigarette, et se réchauffer les mains en les passant sous l'eau chaude.
Un ordinateur rempli de vidéos incriminantes
Et Gisèle P., l'ex-épouse, ne s'est rendue compte de rien et a tout appris à 68 ans, lorsque l'enquête a débuté à l'automne 2020, après presque 50 ans de vie commune: son mari venait d'être surpris par un vigile, dans un centre commercial, en train de filmer sous les jupes de clientes.
En fouillant son ordinateur, les enquêteurs découvrent de nombreuses photos et vidéos d'elle, visiblement inconsciente, violée par des inconnus.
Pour elle, le procès s'annonce comme "une épreuve absolument terrible", a confié un de ses avocats, qui défend aussi ses trois enfants et ses cinq petits-enfants. Elle "va vivre pour la première fois, en différé, les viols qu'elle a subis pendant dix ans", car elle n'en a "aucun souvenir", a-t-il expliqué.
Dominique P., qui participait aux viols et les filmait, ne réclamait aucune contrepartie financière. L'homme, qui se dit prêt à "affronter son épouse, sa famille", selon son avocate, devrait être interrogé le 10 septembre par la cour, qui se penchera dans les jours suivants sur le cas de quatre autres accusés (lire encadré).
Traqué par le pôle "cold cases" de Nanterre en région parisienne, le principal accusé a été mis en cause dans deux autres dossiers, un meurtre avec viol à Paris en 1991 qu'il nie, et une tentative de viol en Seine-et-Marne en 1999, qu'il reconnaît, après avoir été confondu par son ADN.
Un mari droguait sa femme et la faisait violer par des inconnus pendant près de 10 ans - Photo à titre d'illustration