Quand il était enfant, Asif Patel démantibulait jouets et transistors en se fiant uniquement à son toucher pour les remettre en état.
Aujourd'hui âgé d’une quarantaine d’années, il est devenu mécanicien dans la grouillante capitale pakistanaise de Karachi, une rare histoire de réussite dans un pays qui offre peu d'avenir pour les aveugles comme lui.
Asif n’a pas d’yeux
Dans un atelier empoussiéré du quartier de Lasbela, les clients défilent pour laisser leurs véhicules entre les mains de ce garagiste pas comme les autres. Des soucis avec une Toyota? Pas de problème! Asif ouvre le capot, plonge ses mains dans le moteur, écoute le bruissement du carburateur pour faire les ajustements d'usage. La clé de son succès? Le toucher, afin de «voir comment les choses fonctionnent», dit-il candidement.
Né avec une rare forme de cécité, Asif Patel n'a tout simplement pas d'yeux. Comme environ deux millions d'aveugles au Pakistan, dont plus de la moitié pourraient être traités par une opération des cataractes, il a dû faire son chemin dans une société qui offre peu d'opportunités pour les non-voyants, souvent limités au foyer familial, sinon reniés par leurs proches ou réduits à la mendicité.
«L'enfant que j'étais avait un don de dieu»
«Mon père m'apportait toutes sortes de choses que je démontais, pour ensuite les remonter», raconte-t-il de son enfance. Après avoir abandonné l'école, Asif a déniché à l'âge de 15 ans un premier emploi à temps partiel dans un garage près de chez lui où son travail consistait à démonter les pièces de l'embrayage. Puis il est monté en grade. Pour dégoter son premier job, Asif a dû prouver son talent singulier. «J'ai dû ouvrir les pièces de l'embrayage, les gens autour étaient un peu surpris, ils pensaient, en constatant mon aisance, que j'avais travaillé dans un autre garage auparavant...»
Puis on lui a demandé de s'attaquer à la boîte de vitesse. «Alors je me suis placé sous une voiture et je me suis rendu compte que derrière l'embrayage... était placée la boîte de vitesse», se souvient-il. «Mentalement, j'ai reconstitué le casse-tête pour retirer la boîte de vitesse du véhicule. Cela m'a pris 15 minutes». «En retirant la boîte de vitesse, j'ai gagné leur confiance. Ils savaient à présent que l'enfant que j'étais avait un don de dieu, que je pouvais faire le travail», se remémore-t-il.
Il ne se considère pas handicapé
«Le travail d'un mécanicien est de diagnostiquer. Tout le monde peut s'improviser bidouilleur. Mais la question centrale est de voir s'il y a un problème avec un véhicule et de comprendre la cause de ce problème», dit-il. «C'est donc un cadeau d'Allah si je parviens à identifier les problèmes», poursuit ce mécano atypique, alors que des clients continuent à affluer dans son atelier de Karachi. Fahad Younis, un client qui débarque avec une Nissan à réparer, vante la qualité de son travail: «Asif répare les voitures peu importe leurs problèmes, c'est pourquoi nous lui confions tous nos véhicules, petits et gros».
Aveugle et autodidacte, Asif Patel ne se considère toutefois pas comme un handicapé même si certains le voient comme tel. «Si j'étais vraiment handicapé, je ne serais pas en mesure de faire ce que je fais. Lorsque vous êtes privé de quelque chose dès la naissance, vous n'avez pas le sentiment que cette chose vous manque. Mais si cela vous a été retiré, vous souffrez bien davantage», philosophe-t-il en toute humilité dans son garage.
(Vidéo) Pakistan: Un mécanicien aveugle devient la coqueluche de Karachi - Photo à titre d'illustration