La fellation, le ciment du couple ?

  • Source : elle.fr


Et si la fellation, autrefois taboue, était devenue le ciment du couple ? La gâterie qui résout les fâcheries, booste la libido et la complicité… Enquête auprès de femmes souvent enthousiastes et d’hommes reconnaissants.

88,5 % des femmes de 35-39 ans ont fait l'expérience de la pipe
1972 : le film « Gorge profonde », glorifiant la fellation dans sa forme extrême, sort aux États-Unis, provoquant un scandale sans précédent. 2012 : la France élit François Hollande à la tête de la République. Quel rapport, vous demandez-vous ? Aucun, a priori. Sauf que quarante ans après les exploits buccaux de Linda Lovelace dans ledit film culte, la pipe est devenue « normale », à l’image de notre nouvelle présidence. Elle s’est démocratisée, répandue, banalisée. Pour preuve, cette étude de l’Ifop de mars dernier, révélant que 81 % des femmes de gauche auraient déjà pratiqué la fellation (contre 69 % pour les électrices de droite, que l’on sait plus âgées). Au-delà du clin d’œil politique, ce qui frappe, c’est la force des chiffres : autrefois considérée comme une pratique de professionnelles (dans les années 50, seule une femme sur deux avouait s’y être adonnée au moins une fois), la fellation a quitté le domaine de la pornographie et de la prostitution pour s’immiscer dans la vie sexuelle de tout un chacun. Selon la dernière étude sociologique française d’envergure sur la sexualité (1), 88,5 % des femmes de 35-39 ans et 90,5 % des hommes du même âge ont fait l’expérience de la pipe. En ce qui concerne la pratique régulière, on frôle les 70 % chez les 25-34 ans. Bref, aujourd’hui, on suce comme on respire, et les jeunes hommes, biberonnés au cyberporn, considèrent la « plume » comme un dû.

La fellation, une figure imposée de la sexualité ?
« Je n’imagine même pas, quand je rencontre une fille, qu’elle puisse me refuser ça ! » s’exclame Julien, célibataire de 26 ans. « D’ailleurs, la plupart du temps, elles descendent toutes seules, pas besoin de demander », poursuit-il. Même son de cloche chez tous nos témoins masculins interrogés, qui emploient des mots sans appel : pour eux, la pipe est « obligatoire », « incontournable », « souhaitable », bref, carrément indispensable à leur sexualité. « Les gens ont parfaitement intégré la fellation dans un rapport sexuel “normal”, confirme Damien Mascret, médecin sexologue. Elle est devenue une figure imposée de la sexualité, même si 10 à 20 % des individus, y compris chez les jeunes, n’en sont pas adeptes. Aujourd’hui, deux tiers des couples pratiquent régulièrement le sexe oral, fellation ou cunnilingus. Et dans la grande majorité des cas, cela semble fait avec plaisir, ou, en tout cas, sans déplaisir. La fellation n’est plus du tout vécue comme une transgression, contrairement à la sodomie. Une fois cela posé, chacun choisit d’entrer ou pas dans la norme. » De fait, les femmes que nous avons interrogées ne se dérobent pas : elles ont parfaitement digéré l’idée que la pipe est un facteur important du développement durable de leur couple. Si deux d’entre elles, parmi les plus jeunes, avouent courageusement qu’elles considèrent la fellation comme transgressive et disent « beurk, beurk » sans se soucier du climat ambiant du « tout-le-monde-le-fait-donc-je-m’y-colle », la grande majorité s’y prête de bonne grâce, « pour faire plaisir », et quelques-unes s’en donnent à cœur joie, tout simplement parce qu’elles adorent jouer de la « flûte enchantée », ce qu’elles assument haut et fort.

« La fellation contribue à apaiser les choses, parfois même à dénouer des conflits »
« Cela correspond tout à fait à ce que j’ai observé, note le Dr Mireille Dubois-Chevalier, sexologue. Face à la fellation, les femmes se divisent en trois groupes : les plus nombreuses sont celles que cela ne dérange “pas trop”, qui pratiquent la fellation sans conviction mais avec générosité, pour répondre au désir de leur partenaire. D’autres, pas si rares, souffrant souvent d’immaturité psychoaffective, ne peuvent même pas envisager le contact de leur bouche avec un pénis ; leur dégoût est très fort, et se renforce si l’homme se montre insistant. Enfin, il y a une minorité de femmes qui, à la faveur d’un vrai lâcher-prise, parviennent à érotiser la fellation. Elles la pratiquent aussi pour elles-mêmes, parce qu’elles ont découvert le plaisir que cela peut leur procurer, comme l’héroïne de “L’Art de la joie”, le chef-d’œuvre de Goliarda Sapienza (2), dont je recommande la lecture, tant la sensualité féminine y est bien décrite. » On imagine aisément la fête des sens dans les foyers ardents de ces dames, mais, pour autant, la pipe, qui reste avant tout un solide vecteur du plaisir masculin, peut-elle être sérieusement considérée comme le ciment du couple ? comme un élément essentiel de sa durabilité ? Les réponses diffèrent. Pour nos deux spécialistes, ce serait plutôt non, quoique… « Rien ne fait office de ciment dans une union, si ce n’est le pacte secret qui la lie, ce pacte pouvant tout aussi bien recouvrir l’absence de sexualité ! La fellation n’est pas plus primordiale pour le couple que quoi que ce soit d’autre. L’essentiel, c’est la bienveillance envers l’autre. Maintenant, il est certain que la fellation, ou toute autre pratique appréciée des partenaires, contribue à apaiser les choses, parfois même à dénouer des conflits », répond Mireille Dubois-Chevalier.

Elise, 30 ans, a inventé la « suçothérapie » pour sauver son mariage
Pour Damien Mascret, « la fellation favorise le bon fonctionnement d’un couple dans la mesure où elle incarne l’acceptation du désir de l’autre, l’envie de faire plaisir. Mais nombreux sont ceux qui fonctionnent très bien sans ! » Ce qui n’est pas le cas pour Vincent, 41 ans, marié depuis quinze ans, pour qui la fellation est une condition sine qua non d’harmonie conjugale. « Je le dis sans détour : si ma femme n’avait pas accepté de me faire des pipes, je crois que je serais allé voir ailleurs, j’aime trop ça, je ne peux pas envisager la vie sans ! Mais je l’aurais prévenue, histoire de ne pas la prendre en traître… » Un goujat ? « Plutôt un homme immature et narcissique, qui se comporte comme un petit garçon capricieux à qui l’on refuse un jouet, analyse Damien Mascret. Ne pas accepter les préférences sexuelles de l’autre, c’est une attitude infantile. Ce genre d’homme cherche une excuse pour être infidèle : ici, le refus de la fellation n’est qu’un prétexte. L’embryon de la discorde ne se niche pas là, ce n’est qu’un signal à explorer quand les choses vont mal. Il ne faut pas confondre les symptômes et les causes. La fellation seule n’a pas le pouvoir de faire tenir une relation amoureuse, ni de la réparer, sinon il y aurait moins de séparations ! » Ce qui n’a pas empêché Elise, 30 ans, d’inventer la « suçothérapie » (sic) pour sauver son mariage, comme elle le confiait il y a quelque temps sur les ondes d’Arte Radio : « Après la naissance de notre deuxième enfant, j’ai senti que Philippe s’éloignait, il se demandait s’il m’aimait encore, si l’on devait rester ensemble ou pas. J’ai eu l’idée de lui faire une fellation tous les deux jours pendant deux mois, entre 9 et 10 heures du soir. Je m’y suis tenue méthodiquement. Un homme refusant rarement ce genre de proposition, ça a marché. »

« Mon ex m’a trompée à cause de ça, mais je ne pouvais quand même pas me forcer ! »
Hélène, elle, médite amèrement sur le sujet. Son conjoint l’a quittée récemment, après dix-huit ans de vie commune, en lui jetant au visage un dernier reproche : « Ce qui m’a le plus manqué dans notre histoire, c’est que tu n’as jamais voulu avaler mon sperme ! » Gloups. Qu’en disent nos sexologues ? Pour Damien Mascret, « il faut se souvenir que, si les hommes aiment tant la fellation, c’est parce que, en étant ainsi honorés, ils sont narcissiquement dévorés par leur partenaire, tant ils sont irrésistibles et virils, c’est donc extrêmement important pour eux ! » Pour Mireille Dubois-Chevalier, le cas d’Hélène révèle une disparité souvent constatée en consultation : « Si les hommes vont spontanément vers le monde intime de la femme, en érotisant très facilement le cunnilingus, l’inverse n’est pas vrai. Les femmes pensent trop souvent que, après des siècles de disponibilité féminine, les hommes n’ont plus le droit de demander quoi que ce soit au lit. C’est injuste. Le fait de ne pas se sentir aimé dans son inimité peut frustrer un homme profondément. » La preuve : « Je m’en suis voulu, après cet échec, poursuit Hélène. J’ai beaucoup réfléchi, et dans mes relations actuelles avec les hommes, ça me pose encore question. Mon ex m’a trompée à cause de ça, mais je ne pouvais quand même pas me forcer ! » Ça, pas question ! Tout le monde est d’accord là-dessus.

« No pipe si j’ai un truc à lui faire payer : petite dernière oubliée à la crèche ou tas de linge s’accumulant. »
« Il n’est pas “anormal” de ne pas sucer si l’on n’aime pas ça, martèle Damien Mascret. Il faut faire comprendre à l’autre, quelle que soit la pratique envisagée, que se forcer revient à être violé dans son intégrité. Je conseille parfois à une femme, pour mieux faire comprendre ses hésitations, de rappeler à son conjoint sa propre réticence à être pénétré. Le message passe très bien, de cette façon ! Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur ce qui coince : problème d’hygiène ? de position ? La question mérite d’être évoquée, discutée au sein du couple. » Pour Hélène, c’est un peu tard : « Je regrette qu’il ne m’en ait jamais parlé clairement. En même temps, s’il l’avait fait, j’aurais peut-être assimilé ça à du chantage… » On entre ici dans le délicat sujet du rapport de force : homme sucé (ou pas) versus femme suceuse (ou pas), qui fait la loi ? « La femme, évidemment. La force est de son côté, jusque dans son refus », s’exclame Gérard Lenne, critique de cinéma et auteur d’un éloge de la fellation (3). Tous nos témoins, hommes ou femmes, acquiescent : certes, la position qu’impose le plus fréquemment la fellation évoque une domination masculine, mais c’est sans compter avec l’insoutenable vulnérabilité du pénis pendant la pipe. « Vous imaginez ce qu’on ose placer entre vos mâchoires ? » sourit Patrick, 50 ans. Ce qui fait écho aux verbatim des femmes, bien conscientes d’un pouvoir dont certaines n’hésitent pas à jouer effrontément (et nous ne parlons pas ici, naturellement, des coups de dents inopportuns) : « Une bonne pipe, c’est très efficace en phase de négociations, quand je veux le faire céder sur la couleur d’un papier peint ou sur le lieu de nos futures vacances », avoue Adèle, 39 ans. Quant à Julie, 35 ans, elle s’en sert carrément pour gérer la vie quotidienne : « No pipe si j’ai un truc à lui faire payer : petite dernière oubliée à la crèche ou tas de linge s’accumulant. Mais fellation à volonté si j’ai besoin de me faire pardonner quelque chose ou de l’amadouer, pour qu’il garde les enfants quand je pars en séminaire ! » Autant vous dire que nos psys s’étranglent quand ils entendent ça, mais, entre nous, on sait très bien que les filles de « Sex and the City » ont raison quand elles déclarent, d’un air entendu : « O.K., quand on les suce, on est à genoux. Mais, en même temps, on les tient par les couilles. » Tant de sagesse force le respect.